Economiste de formation, Martine Billard est née en 1952. Syndicaliste lycéenne, elle s'implique dans les événements de Mai 68 en France. Militante féministe et antinucléaire, elle devient la porte-parole du Parti des Verts en 1999. En 2002, elle est élue députée de Paris à l'Assemblée française, avant d'être réélue en 2007. En 2009, elle quitte les Verts pour rejoindre le Parti de Gauche. Elle en devient coprésidente, en 2010, avec Jean-Luc Mélenchon, jusqu'au congrès de l'été dernier. Voir son blog (martine-billard.fr). Dans cet entretien, elle critique la démarche que sous-tend la prochaine Conférence de Paris sur le climat. Liberté : Les niveaux d'engagement pour la Conférence de Paris (CoP21) des pays développés en termes de réduction des émissions et au plan financier vous semblent-ils à la hauteur de l'exigence de contenir l'augmentation de la température à 2° pour la fin du siècle ? Martine Billard : 154 pays sur 195 ont déposé leurs engagements de réduction d'émissions de gaz à effet de serre. Le total provoquerait une hausse des températures proche de 3°C, voire plus. Or l'objectif fixé à la COP21 est de maintenir cette hausse à 2°C maximum, et ce, alors que 1,5°C serait sans doute plus adapté pour éviter un emballement irréversible. Les pays du Groupe dit des 77 regroupant les pays du Sud, ont rejeté l'accord présenté à la conférence de Bonn (19 au 23 octobre). L'obligation d'engagements collectifs mais différenciés avait tout simplement disparu. Comment peut-on oser demander des efforts comparables aux pays industrialisés qui sont de loin les principaux producteurs de GES, et ce, depuis plus d'un siècle et aux autres ? Ce sont les pays riches qui doivent faire les principaux efforts. La justice climatique avait aussi disparu. Or ce sont les pays et les populations les plus pauvres qui sont les premières victimes. Il serait donc injuste de faire peser à l'identique le coût des mesures à prendre entre les pays pauvres et les pays riches, entre les riches de tous les pays et les pauvres de ces mêmes pays. De même, les travailleurs du secteur des hydrocarbures et du charbon vont devoir se reconvertir au fur et à mesure que l'extraction des énergies fossiles sera abandonnée pour le développement des énergies renouvelables. Ils ne doivent pas être les victimes sociales de cette indispensable transition énergétique. Le texte a finalement réintégré une partie des exigences des pays du Groupe des 77 mais seulement sous forme d'options ! En l'état, il est toujours inacceptable. Il ne prévoit pas d'obliger les pays à améliorer leurs engagements. La responsabilité des énergies fossiles dans les émissions de GES est absente du texte tout comme la nécessité d'en finir avec la déforestation et de changer les pratiques agricoles. Tout est fait pour promouvoir encore plus les fausses solutions et les mécanismes de marché. Aucun financement sérieux ni transfert de technologie en direction des pays les plus vulnérables n'est proposé. Le Fonds vert consiste plus en des prêts au secteur privé qu'en aide publique. C'est le cas des engagements de la France. La loi de transition énergétique qui vient d'être votée va-t-elle dans le bon sens en matière de climat et de l'écologie en général ? Le gouvernement français est le spécialiste des beaux discours et des actes inverses. Cette loi inscrit le maintien de la production nucléaire au niveau actuel. L'accroissement de la part des énergies renouvelables n'est donc possible qu'à condition d'accroître la consommation énergétique, une aberration au moment où il faut au contraire aller vers la sobriété énergétique. Il n'a aucune réflexion sur le changement nécessaire du paradigme productif. En conséquence, il n'y a pas de politique de grande ampleur pour une meilleure isolation des bâtiments pour réduire la consommation énergétique et lutter contre la précarité énergétique qui frappe de plus de plus en plus de ménages victimes du chômage ou des bas salaires. Le budget de l'écologie est en baisse constante depuis 2012. Le réseau de trains régionaux est fragilisé, le fret ferroviaire abandonné et dans le même temps, la loi favorise le fret routier et le développement des transports de voyageurs par autocar. La liste est longue de tels actes anti- écologiques : développement d'une agriculture industrielle employant toujours plus d'intrants chimiques, obstination à construire un aéroport en zone humide en chassant les paysans, multiplication d'immenses zones commerciales sur des terres agricoles, privatisations de forêts au risque de les voir déboisées, recul législatif sur la nécessité de réduire l'utilisation des pesticides etc. Des ONG et des courants antilibéraux envisagent d'organiser un contre-sommet lors de cette Conférence. Êtes-vous partie prenante à ce rendez-vous ? Le contre -sommet va prendre plusieurs formes: une marche le 29 novembre, veille de l'ouverture de la COP21, un contre-sommet proprement dit les 4 et 5 décembre avec des débats organisés par les plus de 130 organisations, syndicats, ONG de la Coalition Climat 21, et un village des alternatives concrètes pour montrer que produire et vivre autrement est possible. Enfin le 12, au lendemain de la clôture, nous serons dans la rue pour ne pas leur laisser le dernier mot d'autant que nous savons déjà qu'ils feront tout, et en premier lieu F. Hollande, pour apparaître comme les sauveurs de la planète quelle que soit l'indigence du texte qui émanera de cette réunion. Les partis ne sont pas partie prenante en tant que tel suite à un refus des syndicats. Nous le regrettons car toutes les forces sont nécessaires. Mais cela ne nous empêche pas d'être présents individuellement et d'appeler tous nos militants à participer et de produire du matériel d'explication et de présentation de nos propositions (plaquettes, affiches, tracts, autocollants ...). Vous militez pour une décroissance économique en vue de préserver les équilibres de la planète. En quoi cette approche n'est-elle pas porteuse de régression économique et sociale ? Cela signifie quoi pour les pays en développement et les pays pauvres ? Nous consommons plus de ressources et produisons plus de déchets que la capacité de renouvellement et d'absorption de la planète. Nous émettons beaucoup trop de GES. Il faut donc réduire nos prélèvements sur la nature. Mais quoi de commun entre les USA qui consomment l'équivalent de 5 planètes ou la France l'équivalent de 3 planètes et nombre de pays où la population a du mal à se nourrir, se loger, se soigner convenablement. Et si on réintègre toutes les productions délocalisées au Sud pour profiter de normes sociales, sanitaires et environnementales moindres, avant de réimporter ces produits consommés au Nord, l'écart est encore bien plus grand. Il est donc clair que cette décroissance s'adresse en priorité aux pays riches et dans tous les pays aux ultra-riches qui gaspillent sans compter et dégradent ainsi la planète. Il faut produire autrement, s'interroger pour savoir si tel objet est utile socialement et supportable écologiquement. Il faut en finir avec l'obsolescence programmée d'objets des plus irréparables pour le seul profit des actionnaires des multinationales. Il faut une production utile socialement, durable, réparable, économe en ressources et en énergie et recyclable. C'est possible et c'est indispensable. Et cela crée beaucoup plus d'emplois que les politiques actuelles qui ont pour seul objet de réduire toujours plus la part affectée aux salaires que ce soit par la réduction du nombre d'emplois ou par la baisse des salaires au bénéfice des profits des actionnaires. Il est possible de vivre autrement et de vivre bien, sans gaspiller. Le bonheur n'est pas dans l'accumulation de biens, dans la course à copier le mode de vie prédateur de la planète de l'oligarchie planétaire mais dans les liens tissés entre humains, dans l'accès à l'éducation, à la culture, à la beauté des choses tout en ayant de quoi vivre dignement et sans angoisse du lendemain. Socialisme et écologie fondent l'identité du Parti de Gauche. Est-ce à dire qu'il faudra concilier les deux ou alors vont-ils de pair? Les deux vont de pair. Il existe une seule planète où la vie humaine est possible. Toute pensée qui ne part pas de cette réalité et donc de l'intérêt général à agir pour sauver notre écosystème est une pensée obsolète. Nous ne pouvons pas attendre l'avènement du socialisme qui réglera tout, car d'ici là, si nous ne faisons rien, la planète sera devenue inhospitalière pour les êtres humains mais aussi pour une grande part de la vie animale et végétale. Mais, à l'inverse, il ne peut être question de considérer que nous sommes tous égaux devant le réchauffement climatique et ses conséquences ou face à toutes les autres dégradations de l'environnement (perte de biodiversité, pollutions multiples...). Sur le réchauffement, j'en ai dit un mot plus haut. Pour les conséquences des autres pollutions sur la santé, nous sommes là aussi face à d'immenses inégalités entre les riches qui peuvent avoir accès à de l'alimentation saine, à des soins de bonne qualité, qui peuvent habiter dans des lieux moins pollués, mieux aérés, s'échapper à la campagne, à la mer ou à la montagne pour fuir les périodes de pollutions ou de grosses chaleurs et les pauvres qui n'ont d'autre possibilité que de subir. Il faut donc partir des besoins des classes populaires et des populations et pays les plus vulnérables pour construire un projet politique. De plus, ce projet doit être élaboré avec le peuple : il y a bien plus de connaissance accumulée sur ce qui est bon ou mauvais pour le vivre-bien au sein du peuple que parmi la petite oligarchie de tous les pays qui vit dans une bulle loin des réalités concrètes et qui, de plus, croit toujours que l'argent peut tout acheter, tout résoudre. La solution n'est pas non plus dans le capitalisme vert comme le proposent les écologistes libéraux et le clame tant S. Royal, ministre de l'Environnement, et qui cherchent ainsi à sauver le système et les profits des multinationales. En proposant l'écosocialisme, articulation entre socialisme, écologie et République, nous réaffirmons que c'est le système qu'il faut changer et pas le climat et que c'est possible. Un mot sur l'Algérie ? Je salue la lutte courageuse des militants et des habitants du sud de l'Algérie contre l'exploration et l'extraction des gaz de schiste. L'Algérie a d'immenses possibilités d'énergies renouvelables, notamment pour ce qui est de l'énergie solaire. Mais cela doit se faire au bénéfice de la population algérienne. R. S.