Le diagnostic qu'on peut établir du secteur de la santé en Algérie est plus qu'alarmant. Les actions et formules tâtonnantes des autorités comme les brillantes agitations médiatiques pour éclipser une sombre réalité préoccupante, les discours incantatoires généreux et généraux, les déclarations cacophoniques, la propagande, les conventions ainsi que les assises, symposiums et colloques téléguidés ne peuvent ni organiser ni gérer et encore moins réformer notre système de santé. Il est primordial de rappeler à nos autorités politiques et médicales qu'un système de santé fonctionnel doit reposer inéluctablement sur des principes directeurs ayant la perception globale de la santé (qui s'appuie sur la biologie humaine, l'environnement, les habitudes de vie et l'organisation des soins), telle qu'elle a été définie par l'Organisation mondiale de la Santé (OMS) : "la santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en l'absence de maladie ou d'infirmité". Il s'agit donc d'un concept large, influencé par de nombreux déterminants indépendants : facteurs génétiques (hérédité), biologiques (vieillissement), socioculturels (ressources, activité professionnelle et logement), comportementaux liés au mode de vie (nutrition, activités physiques, tabagisme et toxicomanie), environnementaux (danger biologique, chimique et physique) ainsi que par l'accessibilité à des services de santé de qualité. Cette définition de l'OMS établit clairement que l'environnement est un facteur déterminant dans les questions de santé. Elle souligne aussi que la notion de santé environnementale concerne également les actions permettant de prévenir et de corriger les nuisances environnementales qui peuvent être à l'origine de troubles ou de maladies, d'où le slogan de l'OMS : "L'environnement d'aujourd'hui, la santé de demain". Sans minimiser l'importance de la médecine curative (à laquelle on limite notre système de santé), qui est en état de délabrement avancé, la santé c'est aussi l'air que nous respirons, l'eau que nous buvons, les aliments que nous consommons, les médicaments que nous ingérons, l'activité physique que nous faisons, etc. En Algérie, les autorités publiques ne considèrent pas ou ne réalisent pas encore la nécessité de mettre en œuvre des politiques en matière de médecine préventive. La situation actuelle de notre système de santé insinue bel et bien que la santé environnementale, c'est-à-dire la promotion de la médecine préventive, ne fera pas partie de sitôt des projets de nos autorités publiques. Pourtant, les effets sur la santé des Algériens que continue de provoquer notre environnement fortement pollué, ne cessent d'augmenter et d'une façon exponentielle. Il en résulte un grand nombre d'états pathologiques, allant de différents types de cancers aux maladies cardio-vasculaires en passant par les maladies neurologiques, qui sont les quelques-unes des maladies graves répertoriées, liées à la pollution de notre environnement et dont des milliers d'Algériens sont des victimes de trop. Pour mettre en évidence l'importance et la pertinence de la santé environnementale ou de la médecine préventive dans un système de santé, son rôle, ses objectifs, sa mission et ses grandes lignes, je me limiterais, dans le cadre de cette contribution, à présenter brièvement un exemple d'étude du cas concret de pollution intense et qui porte sur la pollution et l'exposition au plomb en Algérie, sans pour autant minimiser le risque que présentent les autres types de polluants comme les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), qui sont très toxiques et ayant des effets néfastes sur les capacités mentales au même titre que le plomb, auxquels les Algériens sont fortement et continuellement exposés. La toxicité du plomb L'Algérie est l'un des rares pays au monde qui continue à utiliser des additifs de plomb dans l'essence et la peinture, sachant que le plomb est complètement banni d'usage comme additif depuis une vingtaine d'années dans le monde, car son intoxication qui est complètement évitable, constitue pour l'environnement et la santé humaine une grave menace, dont il convient de se préoccuper de toute urgence. Le plomb est une substance très toxique qui s'accumule dans l'organisme et a une incidence sur de multiples systèmes organiques. Il est particulièrement nocif pour les jeunes enfants. Effectivement et selon l'OMS, l'exposition au plomb entraîne, chaque année, des centaines de milliers de cas de déficience intellectuelle dans le monde chez les enfants. Les preuves d'un lien avec les incidences neuro-développementales sur les enfants exposés au plomb aux concentrations mesurables les plus faibles ont amené de nombreuses autorités gouvernementales internationales, dont l'EPA (Environmental Protection Agency) des Etats-Unis et l'Organisation mondiale de la Santé (OMS) à déclarer que l'on n'avait pas défini le seuil de nocivité du plomb. Les preuves sont suffisantes pour indiquer des effets nocifs, notamment des effets neurologiques touchant le développement, des effets neurodégénératifs, cardiovasculaires, rénaux et les effets sur la reproduction, même à de faibles concentrations. Parmi ceux-ci, l'effet critique pour la caractérisation des risques est la neurotoxicité pour le développement, pour laquelle la preuve d'un lien était la plus importante, en particulier la baisse du quotient intellectuel (QI) et les troubles de l'attention. Le QI est le paramètre le plus couramment mesuré afin d'évaluer la neurotoxicité pour le développement due à l'exposition au plomb. On a observé cette neurotoxicité pour le développement aux plus faibles taux d'exposition au plomb examinés, à la fois dans le cadre d'études par observation et d'expériences sur les animaux. Beaucoup d'études montrent l'influence néfaste sur le QI de l'exposition précoce au plomb chez les enfants d'âge scolaire, les données indiquant une baisse du QI lorsque la concentration sanguine de plomb augmente. Les recherches montrent que l'exposition chronique au plomb durant les premières années de vie est liée à une baisse du QI des enfants d'âge scolaire et indiquent globalement des effets préoccupants à des taux d'exposition inférieurs à 100 μg/L. L'étude menée par Lanphear et al. (2005), qui concerne la caractérisation des risques relatifs aux effets du plomb sur le QI des enfants, montre qu'il existe une relation inverse entre la concentration sanguine de plomb et le QI. Ainsi, on a observé que des concentrations sanguines de 24 à 100 μg/L, de 100 à 200 μg/L et de 200 à 300 μg/L entraînaient une baisse du QI de 3,9 points, 1,9 point et 1,1 point, respectivement. Lanphear et al. (2005) ont conclu qu'un taux sanguin de plomb maximal de moins de 75 μg/L entraîne un déficit intellectuel chez les enfants. Le point de données le plus faible dans l'étude de Lanphear (2005) était de 2,4 μg/dl. Chez les animaux de laboratoire, on a observé que les effets neurotoxiques du plomb sur le développement persistaient après l'arrêt de l'exposition et une fois les concentrations sanguines et cérébrales de plomb revenues à la normale ou aux taux de référence (Rice et Barone, 2000). Enfin, d'après les modélisations dose-effet effectuées par l'Office of Environmental Health Hazard Assessment de l'EPA de l'Etat de Californie (OEHHA, 2007) et par l'Autorité européenne de sécurité des aliments l'EFSA (2010), chaque augmentation de la concentration sanguine de plomb de 1 μg/dl entraînerait une déficience d'un point de QI environ. Sources d'expositions au plomb en Algérie Afin de déterminer le moyen de réduire l'exposition de la population algérienne au plomb, il faut d'abord comprendre où elle se produit et ce qu'il advient du plomb, à la fois dans la nature et dans le monde industriel, dont l'objectif ultime est de réduire les risques pour la santé humaine et l'environnement. En Algérie et en 2016, il n'existe pas encore d'inventaire national des rejets de polluants pour avoir le profil précis des différentes sources anthropiques de rejets du plomb dans l'environnement. En fait, les autorités optent toujours pour des solutions du genre de briser le thermomètre pour arrêter la fièvre. Ainsi, les rejets du plomb dans l'eau et le sol restent encore du domaine de l'inconnu. Toutefois, les rejets du plomb dans l'atmosphère sont multiples et les principales sources d'émissions anthropiques dans l'atmosphère sont notamment l'essence contenant du plomb, les exploitations minières, industrie du fer et de l'acier, les fonderies et raffineries de métaux communs. La plus importante source anthropique d'émission de plomb dans le pays provient de l'essence automobile et des centaines de tonnes de plomb sont rejetées annuellement dans l'atmosphère pour la seule région d'Alger, selon plusieurs sources concordantes qui sont au fait de ce dossier. Il est à noter que la plombémie (le taux de plomb dans le sang) a diminué de 95% depuis le bannissement de l'usage de l'essence au plomb en 1986 aux Etats-Unis, CDC (2005). Cette même baisse très significative de la plombémie s'observe également au Canada dans l'ensemble de la population en 2007-2008, selon Statistique Canada (2010). Ces derniers résultats qui se passent de tout commentaire nous renseignent combien est urgente la refondation du système de santé algérien. En effet, l'exemple de l'exposition au plomb et de ses effets sur la santé cités ci-dessus montre bien que la santé d'une population ne dépend pas que des services de santé d'un pays ; elle se trouve dans les principales fonctions de l'Etat : l'environnement, l'éducation, le sport, l'agriculture, la commune, la ville, la sécurité, le travail, la recherche, l'alimentation, l'industrie, le budget, etc. Il ressort clairement qu'il est plus que primordial d'assurer une gestion transversale de la santé qui passe nécessairement par la collaboration avec les principales fonctions de l'Etat. La santé ne peut dépendre des prérogatives d'une seule institution spécialisée, mais elle doit être multidisciplinaire et un élément de notre bien commun qui concerne toutes les activités de l'Etat. En 2016, il est temps d'entamer la mutation du système de santé pour l'adapter aux grands enjeux sanitaires, technologiques, économiques et sociaux du siècle. Il est plus que nécessaire de cesser de limiter notre système de santé à la médecine curative. L'intégration de la médecine préventive implique un changement profond de mentalité d'abord et signifie précisément qu'il est impératif de sortir la santé des hôpitaux pour la développer dans les écoles, dans les entreprises, dans la pratique sportive, dans la recherche et dans le quotidien de chaque citoyen. Le développement durable ayant comme socle la santé humaine et environnementale est le seul garant de sécurité, de la stabilité et de la prospérité en ce 21e siècle. La santé environnementale et humaine sera le gisement inestimable de richesse économique et humaine dans les prochaines années. K. B. M. Sc. - Université de Montréal. Spécialiste en évaluation des risques professionnels et environnementaux.