Pour le patron de la police, des terroristes qui étaient ensemble dans les maquis ont versé dans le crime organisé après avoir bénéficié de l'amnistie. Le DGSN a également déclaré qu'il attendait une couverture juridique pour enquêter sur les fortunes amassées par les terroristes. La police est sur le terrain et tient à le faire savoir. Pour la seconde année consécutive, son patron anime une conférence de presse pour informer l'opinion des progrès réalisés par la Sûreté nationale dans la lutte contre le terrorisme et le crime organisé. Si le premier est quasiment vaincu, selon les propres aveux de Ali Tounsi, le second constitue une menace persistante à cause, notamment, de la conversion de nombreux repentis en bandits. Hormis le sort de Abderrazek El-Para qu'il a esquivé, M. Tounsi a répondu à toutes les autres questions des journalistes. L'occasion lui a été donnée de les rencontrer à l'école de la police de Châteauneuf, à l'inauguration des festivités célébrant le quarante-troisième anniversaire de la création de la Sûreté nationale. Compte rendu : “Nous avons prévu les troubles de Kabylie” C'est à la fin de sa conférence de presse que Ali Tounsi a livré cette information. Il a révélé à ce propos que deux rapports annonçant les évènements tragiques du printemps 2001 ont été élaborés, l'un deux ans avant l'éclatement des troubles et l'autre quatre mois avant. Relancé par les journalistes pour savoir sur quelle base ces expertises ont été établies, le directeur général de la police nationale a affirmé que les Renseignements généraux avaient à leur disposition des indices. “On était au courant des préparatifs”, soutient-il. Sans expliciter ces arrangements, le patron de la police s'est contenté d'évoquer des réunions des archs (encore embryonnaires) tenues à l'époque. Si tel était le cas, pourquoi rien n'a été fait pour éviter la crise ? “C'est difficile. Il faut tout un train de mesures”, répond-il. Dans le même ordre d'idées, aucune mesure n'a été prise pour anticiper les émeutes de l'eau qui, selon les propres termes de M. Tounsi, ont été prévues par ses services. Extra muros, la clairvoyance de la police algérienne s'est également vérifiée dans la prévision des attentats survenus à Madrid en Mars 2004. “Le procès-verbal d'une réunion que nous avons tenue le confirme. Nous ne nous sommes pas trompés”, a indiqué le DGSN. Il était quasiment sûr, par ailleurs, que des attaques terroristes cibleraient la capitale britannique. “Tout le monde s'y attendait”, assène-t-il. Attentats de Londres : “Les Anglais sont loin du compte” D'après Ali Tounsi, les autorités britanniques n'ont pas été capables d'appréhender convenablement la menace terroriste qui s'est traduite, jeudi dernier, par le quadruple attentat à la bombe à Londres. À ses yeux, la cause réside en partie dans le fait que les Occidentaux en général privilégient la force, “le casque et la mitraillette”, dans la lutte contre les terroristes sans prendre la peine d'étudier leur profil psychologique. “On ne peut pas combattre un ennemi sans le connaître. Pour notre part, nous menons ce travail depuis onze ans”, explique le DG de la sûreté nationale. La seconde raison qui, selon lui, a permis à Al-Qaïda de frapper au Royaume-Uni réside dans l'indulgence exprimée par les autorités de ce pays à l'égard des extrémistes islamistes réfugiés sur leur sol. “J'ai eu l'occasion de visiter ce pays. J'ai rencontré ses responsables, et je leur ai demandé comment ils permettaient à des organisations comme le GIA d'organiser une quête sur une place publique pour ramasser de l'argent avec l'intention d'acheter des armes et des explosifs. Ils ont négocié avec ces groupes en leur disant qu'ils pouvaient agir à leur guise ailleurs, mais pas sur leur territoire”, relate M. Tounsi. Dans le même ordre d'idées, il s'étonne que les Britanniques découvrent la barbarie des terroristes qui cible des innocents dans les bus et les marchés, alors que c'était le quotidien des Algériens pendant plus d'une décennie. “Si les terroristes ne le font plus ici, c'est parce qu'ils ne peuvent plus”, assure le chef de la police. Selon lui, les attentats de Londres ne sont pas source d'inquiétude pour les Algériens. “Les mesures de sécurité prises par l'Algérie sont suffisantes”, argue-t-il. évolution de la situation sécuritaire : “L'Algérie est l'un des pays les plus calmes” De l'avis du DGSN, si “l'extermination des résidus du terrorisme dans les maquis peine un peu à aboutir”, la situation sécuritaire dans les villes “s'est améliorée très rapidement”. “On peut sortir le soir”, constate-t-il. Le retour progressif à la paix (il y a eu 4 300 assassinats en 1997 contre 400 en 2004) est obtenu, d'une part, grâce à l'engagement des forces de la police, dont M. Tounsi a loué l'engagement et la résistance face au terrorisme, en dépit des “moments de faiblesse, de crise et de manque de moyens durant la décennie noire”. D'autre part, il s'est félicité de l'implication de la population. “Les derniers terroristes arrêtés à Alger ont été dénoncés par des citoyens”, révèle le patron de la police. Cependant, les poches de résistance du GSPC dans les montagnes exigent une stratégie plus affinée. Refusant de la dévoiler pour des impératifs de confidentialité professionnelle, le directeur de la sûreté nationale s'est limité à dire que “le gouvernement a décidé d'employer d'autres moyens”. Des efforts sont également consentis pour la gestion des repentis, notamment les plus radicaux. “Des repentis se sont convertis dans le crime organisé” Après le terrorisme, le plus grand défi de la police, aujourd'hui, réside dans la lutte contre le crime organisé. Le pire étant qu'il implique d'anciens terroristes. “Parmi les terroristes repentis et amnistiés, certains se sont convertis dans le crime organisé. Ils commettent des hold-up”, avoue le patron de la police. Selon lui, des groupes de bandits sont constitués de terroristes ayant séjourné ensemble au maquis. “Nous avons prévu cela depuis un peu plus de sept ans. Le terrorisme n'est pas né pour conquérir le pouvoir. Il avait d'autres intérêts. Des terroristes ont gardé leurs réflexes d'êtres violents. Ils posent actuellement des problèmes”. Pour en venir à bout, la Sûreté nationale a mis en place des brigades spéciales. D'après M. Tounsi, “les résultats sont positifs”. Interpellé sur le nombre de ces repentis convertis en bandits, il s'est abstenu de le livrer. “Si nous faisons le total, nous risquerons d'être surpris”, plaisante le chef de la Sûreté nationale. Plus sérieusement, il souligne que ses services ont ouvert, il y a cinq ans, une enquête sur les grosses fortunes acquises durant les années noires. Les services des impôts et du commerce y ont été sollicités. Toutefois, en l'absence d'une couverture juridique, la DGSN a interrompu son investigation. “On a attendu que le gouvernement prenne des mesures pour nous permettre d'agir conformément aux lois”, explique M. Tounsi et de renchérir catégorique : “Celui qui a accumulé de l'argent illégalement doit le rendre.” Pis, d'après lui des pères amassaient des fortunes alors que leurs enfants égorgeaient des innocents. Nombre des terroristes encore en activité : “Je ne fais pas l'appel tous les matins” Très souvent, les officiels se sont distingués par des statistiques contradictoires sur les terroristes encore en activité. Le directeur général de la Sûreté nationale lui-même avait avancé des chiffres que des officiers de l'armée ou le ministre de l'Intérieur ont revu, soit à la hausse, soit à la baisse. Echaudé, il refuse désormais de se livrer à ce genre de comptabilité. “Je ne fais pas l'appel — des terroristes ndlr — tous les matins”, a-t-il signifié. De même, il a évité de donner une estimation du nombre des repentis. “Ils sont nombreux. Il y en a tous les jours et régulièrement. En 2004, nous avons recensé 70 en deux mois”, s'est contenté de dire le DGSN. Disparus : “On ne nie pas que certaines disparitions sont le fait des services de sécurité” Abordant la question épineuse des disparus, Ali Tounsi, tout en confirmant que les forces de police sont impliquées dans certains cas, assure que beaucoup de dossiers concernent des terroristes. “Leurs familles avaient honte de dire qu'ils étaient montés au maquis. Certaines voulaient certainement toucher une prime”, souligne-t-il. En tout état de cause, l'identification des disparus relève selon lui d'un travail de titan. Bien que la police dispose de chiffres “à peu près exacts”, les investigations demandent “du temps et de l'argent”, soutient le DGSN. “Il ne faut pas oublier que des APC ont été incendiées et des souches de cartes d'identité portant les empreintes des disparus détruites”, explique-t-il. Il argue, par ailleurs, de la cherté du procédé d'identification par l'ADN, récemment acquis par notre pays. Où est El-Para ? : “Entre de bonnes mains !” Cette question a arraché un sourire embarrassé à Ali Tounsi. “Je ne sais pas où il se trouve”, a-t-il répondu et d'ajouter simplement qu'il “est entre de bonnes mains”. Le procès dont il est le principal protagoniste a eu lieu il y a quelques jours en son absence alors qu'il a été livré à la justice algérienne par le Tchad. Regain d'activisme autour des lieux de culte : “Les mosquées sont très bien surveillées” À une question sur la menace d'une reprise de contrôle des mosquées par les islamistes, le patron de la police assure que les lieux de culte sont l'objet d'une surveillance accrue. “On suit de près ce qui s'y passe”, fait-il savoir. Des rapports hebdomadaires et mensuels sont élaborés sur la base des constats établis sur les lieux. “Que les gens fassent du prosélytisme, cela ne nous dérange pas”, estime le DGSN. En revanche, il prévient contre les prêches faisant l'apologie de la violence. Etat d'urgence : “Sa levée ne change rien pour moi” Laissant le soin au pouvoir législatif de se prononcer sur la nécessité ou pas de lever l'état d'urgence, M. Tounsi soutient, pour sa part, que cette mesure ne “pèse pas sur la vie politique. Pour moi, cela ne change rien”, observe-t-il. Extradition de Rafik Khalifa : “C'est un problème de formalités juridiques” La justice britannique serait enfin disposée à livrer l'ancien milliardaire Rafik Khalifa, aux autorités algériennes. Le patron de la police en a la conviction. D'après lui, le problème est uniquement lié à “des formalités juridiques” que l'Algérie doit remplir. Ainsi, Londres a demandé à traiter avec une seule juridiction alors qu'auparavant, l'affaire Khalifa était prise en charge par deux tribunaux. Sociétés de gardiennage dans le Sud : “Elles seront sous le contrôle de la police” Dans la perspective de la mise en place de zones de haute sécurité autour des champs pétroliers, il est prévu le renforcement des sociétés de sécurité privées. Cependant, n'a le droit d'y travailler que celui ayant obtenu l'approbation de la police. En effet, leurs agents seront sélectionnés par les services de la Sûreté nationale et formés dans ses écoles. Par ailleurs, la police aura le contrôle des entreprises privées. Selon M. Tounsi des textes sont en préparation pour réglementer cette activité. Enquêtes d'habilitation mensongères : “Nous avons effacé un passif” L'avertissement de Ali Tounsi est sans appel. Dorénavant, tout fonctionnaire coupable de l'élaboration de fausses enquêtes d'habilitation sur des cadres sera traduit devant les tribunaux. S'agissant des pratiques antérieures, le chef de la sûreté veut tourner la page. “Nous avons effacé un passif”, a-t-il affirmé Renforcement des effectifs : 45 000 policiers attendus. La Sûreté nationale compte actuellement 120 000 policiers (dont 3 500 déployés en Kabylie depuis les évènements de 2001). Grâce au plan quinquennal de relance économique, les effectifs seront consolidés par le recrutement de 45 000 hommes. Faisant de la sécurité l'une de ses priorités, le plan prévoit également la mise à la disposition de la police de moyens pour assurer une bonne couverture du territoire national. À ce jour, 190 daïras n'ont pas de commissariat. L'argent donné par l'Etat sera versé par ailleurs dans la formation. Il servira enfin à l'augmentation du salaire des policiers. Se faisant l'écho de cette bonne nouvelle, le DGSN exige une contrepartie de ses fonctionnaires. Ceux-ci doivent être disponibles H24. Ils seront soumis à une discipline quasi-militaire et accepteront d'être affectés dans les endroits les plus hostiles sans rechigner. 62% des citoyens satisfaits du travail de la police Citant un sondage interne, M. Tounsi révèle que 62% des Algériens sont satisfaits du rendement de la police, de l'accueil dans les commissariats et de la qualité de prise en charge de leurs plaintes. Selon lui, cette satisfaction a pour origine le changement de la mentalité des policiers, qui ont été instruits pour “gagner la confiance du citoyen”. Les fonctionnaires et les agents font l'objet d'une sélection sur la base d'une expertise psychologique. Celle-ci sera bientôt rehaussée par une expertise médicale, pour déceler les brebis galeuses, dont les consommateurs de drogue. Samia LOKMANE