Outre les frappes aériennes dirigées contre les Kurdes syriens, la Turquie manœuvre pour entraîner ses alliés dans une périlleuse guerre terrestre en Syrie. Officiellement, c'est pour lutter contre l'organisation autoproclamée Etat islamique (Daech). La Turquie a violemment bombardé hier le nord de la Syrie, pour le quatrième jour consécutif. La réaction d'Ankara fait suite aux frappes russes, dont le soutien aux Kurdes syriens menace directement son projet de mise en place d'une zone d'exclusion aérienne, qui lui permettrait également d'éviter la création d'une zone autonome des Kurdes syriens. En effet, alors que le Premier ministre turc Ahmet Davutoglu dénonçait avec véhémence hier les bombardements aériens menés par la Russie en Syrie et qu'il a qualifiés de barbares, lâches et cruels, l'artillerie turque bombardait à l'aube Tall Rifaat, bastion rebelle dans le nord de la Syrie tombé la veille aux mains des forces kurdes. Le fait de voir les Kurdes syriens s'emparer de localités dans une zone située à une vingtaine de kilomètres à peine de la frontière turque a mis dans tous ses états Ankara, qui en était hier à son quatrième jour de bombardements visant les forces kurdes. D'ailleurs, un haut responsable turc a réitéré hier que son pays est prêt à participer à une intervention militaire terrestre en Syrie, seule capable à ses yeux de mettre un terme à la guerre civile en cours, mais uniquement aux côtés de ses alliés. "Nous voulons une opération terrestre avec nos alliés internationaux. (...) Sans opération au sol, il est impossible d'arrêter les combats en Syrie", a déclaré à la presse ce responsable qui s'exprimait sous le couvert de l'anonymat. Face à cette levée de boucliers turque, la Russie a exhorté la communauté internationale à s'occuper de la situation "tendue et catastrophique" sur les frontières entre la Turquie et la Syrie, selon les médias russes d'hier, qui reprenaient la porte-parole de la diplomatie russe, Maria Zakharova. Cette dernière a déclaré que "la communauté internationale et les mass médias mondiaux expriment leur inquiétude à l'égard de la situation humanitaire en Syrie, mais ils méconnaissent ce qui se déroule sur les frontières turco-syriennes". Elle a martelé qu'une "catastrophe humanitaire frappe cette région", tout en soulignant la nécessité de se concentrer sur ce qui se déroule sur les frontières syro-turques. En outre, le Kremlin a démenti catégoriquement hier les accusations de bombardements par l'aviation russe d'hôpitaux dans le nord de la Syrie qui ont fait près de 50 morts. De son côté, Damas, dont les relations avec Ankara sont tendues en raison de la crise qui secoue la Syrie depuis mars 2011, a condamné les bombardements turcs sur son sol, appelant l'ONU à agir. Il s'agit, selon le gouvernement syrien, de "crimes et attaques répétés de la Turquie à l'encontre du peuple syrien et l'intégrité territoriale de la Syrie". Ces développements, notamment les appels renouvelés de la Turquie à une intervention terrestre en Syrie qu'elle pourrait entreprendre avec l'Arabie saoudite, un autre membre de la coalition, rendent encore un peu plus improbable la perspective d'une trêve dans ce pays, censée entrer en vigueur cette semaine. Ceci étant, le but des Kurdes de Syrie est de connecter les trois cantons d'Afrine et Kobané dans la province d'Alep et de Jaziré dans la province de Hassaké, en vue d'une autonomie à l'image de leurs frères irakiens. Un objectif qu'Ankara s'attelle à rendre impossible. Merzak Tigrine