L'intérêt des pays non Opep est de s'allier avec l'Opep pour infléchir la tendance de baisse des cours du brut. Les cours du brut ont accusé une dégringolade spectaculaire qui se poursuit inexorablement depuis plus d'une année avec le baril passant, à la mi-janvier 2016, sous la barre des $30. Au plus bas depuis quatorze ans environ, ils exacerbent les inquiétudes, voire le désarroi des pays exportateurs dont les économies dépendent presqu'exclusivement d'une rente pétro-gazière, à l'image de l'Algérie, du Venezuela, du Nigeria ou de l'Iran, y compris nombre de pays hors Opep avec à leur tête la Russie, second plus gros exportateurs au monde, qui en dépend fortement. ( ...) Les pétromonarchies du Golfe elles-mêmes, malgré les réserves colossales de change qu'elles ont accumulées, commencent à ressentir les effets de la crise qu'elles ont favorisée, au point où l'Arabie Saoudite réduit son budget et envisage de vendre des actions de l'Aramco. (...) Impact d'une réduction des quotas sur les cours du brut Or aucune réduction de quota ne peut être envisagée car le géant saoudien, seul capable de jouer le rôle de ‘swing producer', s'y oppose résolument. Et pourtant, la revendication des pays prônant cette baisse est tout à fait légitime car ils savent qu'une telle démarche ne manquera pas d'accroître les revenus de tous les membres de l'Opep sans quoi elle n'aurait aucun sens. En effet, supposons que l'Opep accepte de réduire sa production de 2 millions de b/j (surplus actuel) pour ramener ses exportations d'environ 22,5 millions de b/j à 20,5 millions. Si cette réduction entraîne une hausse raisonnable des prix, allant de $30/b à $80/b, il en résulterait que 20,5 millions de b/j à $80/b rapporteraient $1680 millions/jour alors que 22,5 millions de b/j à $30/b ne rapporteraient que $675 millions/jour, soit un gain de $1005 millions/jour. Sans compter les gains résultant d'une hausse des prix du gaz naturel. Le même calcul pour un prix moindre de $60/b donne un gain de $585 millions/jour. L'Arabie Saoudite, qui exporte près d'un tiers du total, perdrait à elle seule près de $316 millions/jour dans le premier cas et $184 millions/jour dans le second. (....) Pourquoi l'Arabie Saoudite ne pourra pas gagner son bras de fer avec les hydrocarbures de schiste Le problème auquel Riyad et ses alliés sont confrontés provient principalement du pétrole de schiste suite au succès spectaculaire que leur production a connu aux USA avec un apport de 5 millions de b/j supplémentaires et dans une moindre mesure au Canada. Cet apport n'a pas manqué de perturber le marché international qui accuse actuellement un surplus d'environ 2 millions de b/j. Leur objectif consiste donc a supprimer ce surplus quitte à étrangler la production des schistes en réduisant les prix. Si telle est leur stratégie pour venir à bout des hydrocarbures de schiste il faut dire dès à présent qu'elle est vouée à l'échec à cause des particularités de leur développement et exploitation. Contrairement aux puits conventionnels qui peuvent produire pendant des décennies avant de s'épuiser, les puits à schiste produisent le plus gros de leurs réserves au cours de la première ou des deux premières années. De ce fait, il faut forer sans cesse de nouveaux puits afin de maintenir un niveau de production aussi constant que possible en remplaçant ceux qui s'épuisent. Il en résulte un développement progressif qui se répète sans arrêt semaine après semaine mois après mois, en une succession de petits projets à faible investissement. En progressant de la sorte, on peut ralentir, arrêter et reprendre à tout moment les forages sans craindre de compromettre les investissements puisque les investissements précédents ont déjà été rentabilisés et que les prochains ne seront entrepris que s'ils restent rentables. Une pareille flexibilité, résilience et réactivité permettent aux hydrocarbures de schiste de plier mais sans rompre, comme un roseau, en suspendant complètement ou partiellement les forages, lorsque les prix chutent trop bas, tout en maintenant la production des puis déjà forés. Elle leur permet aussi de se redresser en reprenant tout aussi vite les opérations de forage avec accroissement de la production et des parts de marché lorsque les prix remontent suffisamment. Un tel cycle pourra se répéter indéfiniment ne laissant, à la longue, aucune chance aux Saoudiens de gagner la bataille. De plus, en agissant ainsi, ceux-ci rendent un grand service aux producteurs d'hydrocarbures de schiste en les forçant à améliorer leur technologie de production et à réduire leurs coûts pour mieux résister à leurs adversaires. Quant aux gisements conventionnels, ils continueront à produire normalement pendant toute leur durée de vie. Si les prix chutent trop bas, les puits à coûts de production plus élevés devront être fermés, entraînant une certaine baisse de production. Par contre, les mêmes puits pourront être rapidement réouverts dès que les cours remonteront. Cette opération de fermeture/ouverture pouvant se répéter autant de fois que nécessaire. Comprenant enfin qu'ils se trompaient lourdement en pensant gagner le bras de fer qui les oppose aux schistes, les Saoudiens et alliés finiront par se raviser en abandonnant la partie. Dans la négative, ils devront subir une lourde pénalité sous la forme d'un énorme manque à gagner pouvant atteindre des centaines de milliards de dollars/an et qui durera le temps que durera ou se répètera la chute des prix. Une telle attitude serait suicidaire car elle ne manquera pas de provoquer leur effondrement financier après avoir provoqué celui des autres pays de l'Opep. La Fédération de Russie et autres exportateurs hors Opep pourront-ils résister à la chute des prix Si les Saoudiens n'ont pratiquement aucune chance de gagner le bras de fer qu'ils ont engagé avec les hydrocarbures de schiste, ils sont, par contre, quasiment certains de prendre le dessus sur les exportateurs hors Opep en les obligeant à réduire leur production. En effet, la chute des prix affecte durement les économies des exportateurs aussi bien Opep que hors Opep. La Russie en particulier, second exportateur mondial, en est affectée bien plus durement que les autres car elle subit déjà un embargo international qui en amplifie les effets. M. T. (*) Ancien directeur à sonatrach [email protected]