Dans cet entretien, l'expert marocain présente un plaidoyer pour la redynamisation des échanges économiques entre les deux pays et livre des détails sur le commerce illégal qui prospère aux frontières ouest. Liberté : Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ? Belgacem Boutayeb : Je suis président Mena à l'Institut marocain des relations internationales et expert consultant auprès de l'association des exportateurs marocains Asmex. Je suis marocain. Mais je suis natif d'Oran. J'ai la double citoyenneté algérienne et marocaine. Je suis le plus Algérien des Marocains. Comment situez-vous l'état des échanges économiques entre l'Algérie et le Maroc et des relations entre les entrepreunariats algérien et marocain ? Les échanges commerciaux bilatéraux s'élèvent à 200 millions de dollars US. L'ambition des deux parties est d'atteindre un volume de un milliard de dollars/an. Avec les partenariats économiques et la complémentarité des deux économies, nous pouvons rapidement dépasser ce chiffre. À cette fin, il faudrait mettre en œuvre les accords de l'UMA, en particulier l'abolition des droits de douane, l'ouverture des frontières. Il ne s'agit pas d'acheter et de vendre mais de cibler et de conquérir à travers des partenariats conjoints des marchés en Afrique et au Moyen-Orient, les marchés traditionnels : l'Europe et l'Amérique du Nord. Pour les échanges entre entrepreneurs, il y a eu la conclusion de convention entre la Chambre de commerce d'Oujda et de Tlemcen, de Casablanca et d'Alger, entre l'Association algérienne des exportateurs et son homologue au Maroc Asmex. Des missions d'entrepreneurs marocains ont été effectuées en mars et avril à Alger et à Oran, organisées par la Fédération des Chambres du commerce du Maroc, et qui ont abouti à l'établissement d'une Chambre de commerce algéro-marocaine. Les entrepreneurs algériens, qui ont participé à ces rencontres, sont de facto membres fondateurs de cette Chambre. Cette dynamique se reflète aussi dans la création de l'Union maghrébine des industries automobiles et l'Union des banques maghrébines. Cette dernière peut jouer un rôle important dans la mise à niveau du système bancaire de nos pays. Quant à l'esprit de cette coopération, je crois beaucoup à la coopération transfrontatière qui ferait obstacle à la contrebande très florissante des zones frontalières : Oued Berkane, Nador, Oujda, Figuig... Les opérateurs des deux côtés de la frontière sont pénalisés par ce commerce illégal. On retrouve par exemple à Oujda plein de produits laitiers, de produits pétroliers, de la farine. Même du pain algérien est commercialisé à Béni Drar. Cette contrebande représente 7 à 10 fois les échanges commerciaux (1,4 à 2 milliards de dollars, révèle une étude des services de la ville d'Oujda). Des pharmacies ont fermé du côté de la frontière marocaine à cause de l'introduction de médicaments algériens beaucoup moins chers. Cette coopération transfrontalière peut se traduire par des transferts de compétence, des actions de formation, profitables aux populations du Maroc oriental et de la région de Tlemcen, Oran, Sidi Bel-Abbès. Ce qu'on veut, c'est arriver à 1 milliard de dollars d'échanges commerciaux et favoriser une coopération Sud-Sud. Qu'en est-il du partenariat ? La première enseigne marocaine Sakarid sera installée à Alger en septembre, fruit d'un partenariat entre le groupe marocain Benmoussa et l'entreprise algérienne Tapis d'Or. Elle commercialisera les tapis algériens et des tissus d'ameublement marocains. Un projet de production de médicaments en joint-venture algéro-marocaine est en bonne voie de lancement à Oran. Les entreprises marocaines semblent intéressées par la privatisation en Algérie... Elles s'intéressent à la reprise d'entreprises textiles, à des délocalisations et à des secteurs très porteurs tels que la promotion immobilière, les banques. N'est-il pas utopique de vouloir redynamiser les échanges côté opérateurs dans un contexte de tension politique ? Les opérateurs économiques sont convaincus que la multiplication des échanges, par la création de passerelles par exemple par Alicante, Marseille et la Turquie, l'organisation de missions commerciales directes communes pour conquérir des marchés à l'extérieur, des partenariats pour tirer profit notamment des accords de libre-échange conclus entre le Maroc et les Etats-Unis, la Turquie pourraient fléchir les politiques. Ce sont des problèmes conjoncturels qui vont se résoudre avec le temps. Les politiques, du reste, ne peuvent aller à l'encontre des aspirations des populations qui sont d'ordre économique et culturel. Ce sont, notamment les populations des frontières qui sont les plus pénalisées, qui perdent au change alors qu'elles ont payé un lourd tribut pour l'indépendance des deux pays. En résumé, ce sont les opérateurs économiques des deux pays qui peuvent influer sur les politiques pour redynamiser les échanges et faciliter l'accès aux marchés pour les entreprises des deux pays. Comment voyez-vous les perspectives d'intégration régionale ? J'entrevois une intégration avant tout économique. Il s'agit non pas de vendre et d'acheter, mais d'aller vers des partenariats ensemble pour mieux protéger nos économies des méfaits de la mondialisation. N. R.