Si les enseignants se sont peu mobilisés à la faculté centrale, les réunions tenues par le syndicat ont fait le plein à Ben Aknoun. Mais grévistes ou non, ils sont unanimes à dénoncer la dégradation de leurs conditions socioprofessionnelles. “Je vous ouvre l'université, vous êtes libres d'aller où vous voulez. Vous aurez à constater par vous-mêmes qu'il n'y a pas d'arrêt de cours et que la plupart des départements sont en examen.” C'est en ces termes que le chef de cabinet de l'Université d'Alger a accueilli hier la journaliste et le photographe de Liberté. Sur les lieux, c'est-à-dire à la faculté centrale, l'ambiance aurait été des plus normales s'il n'y avait pas le dispositif policier tout près de l'entrée principale. Pourtant, les cours et les examens ont bel et bien eu lieu. Aucune banderole ni pancarte en vue pour indiquer une quelconque activité du Conseil national des enseignants du supérieur, encore moins une journée de protestation. “Il y avait des gens de la sécurité militaire tout à l'heure qui voulaient savoir si tout se passe bien ici, et ils sont repartis”, nous a confié un des gardiens, non loin du “jardin des amoureux” où des étudiants discutaient, révisaient leurs cours ou sirotaient un café sous un soleil bienveillant. Le délégué du Cnes était pratiquement injoignable. Le seul que nous avons pu approcher est le coordinateur syndical de l'UGTA. Hamid Naït a reconnu que son syndicat ne s'est pas solidarisé avec celui des enseignants du supérieur. “Les représentants du Cnes n'ont organisé ni assemblée générale ni table ronde pour nous donner l'occasion de prendre position”, s'est-il justifié en dénonçant plus loin “les mauvais traitements infligés aux étudiants par la police” et “la violence provoquée par les étudiants”. À la faculté de droit, les enseignants ont répondu massivement à l'action du Cnes et se sont réunis en assemblée générale. Au campus de Bab-Ezzouar, la journée de protestation a également été bien suivie et bien organisée grâce à la concentration d'une multitude d'instituts et aux traditions de lutte syndicale. Le désarroi des jeunes profs de Bouzaréah À la faculté des sciences humaines et sociales de Bouzaréah, la concentration des forces de l'ordre est visible. Nous avons du mal à rencontrer les enseignants protestataires et leurs représentants en raison de l'absence de placards ou d'écriteaux. Des étudiants rencontrés, préoccupés par les examens, ont néanmoins révélé que des enseignants de certains départements (anglais, philosophie et sociologie) n'ont pas assuré leurs cours. Nous entrons au département d'anglais et grimpons au second étage. Par la porte entrouverte de la salle des profs, nous voyons une douzaine d'enseignants, dont deux jeunes vacataires qui discutent sur un ton passionné de l'action de protestation du Cnes et de la dégradation criante de la fac et des conditions socioprofessionnelles des universitaires. Dans le couloir, des enseignants “non grévistes” s'affairent pour rejoindre leur salle de cours. Certains ne cachent pas leur méfiance vis-à-vis du Cnes ou de tout autre organisation, qu'elle soit syndicale ou politique. “On ne croit plus personne, ni la tutelle ni n'importe quelle structure. D'ailleurs, le ministère de tutelle et le pouvoir en général n'ont jamais écouté la voix des universitaires, ils ont toujours fait ce qu'ils voulaient”, a déclaré une enseignante. Les deux vacataires sortent de la salle des professeurs. “Nous sommes tenus de faire nos cours sinon nous risquons des sanctions”, a avoué l'un d'eux. Quelques fonctionnaires de l'administration nous abordent pour nous désigner d'une des fenêtres “le coin des dealers”. “Ce sont des étrangers qui viennent régulièrement vendre leur drogue aux étudiants… Mais, d'autres fléaux menacent la fac, comme les vols de bijoux, les agressions des étudiantes”, relève un des agents. Fouad Djemaï, responsable du Cnes, nous invite à participer à la rencontre des enseignants, structurés majoritairement au Cnes. Au cours de la rencontre, des intervenants ont noté “la faiblesse” de la mobilisation des universitaires à la journée de protestation, rendue possible par des contraintes “objectives” telles que, notamment la période des examens, le fait que “les enseignants ne travaillent pas tous les jours” et le recul à l'échelle nationale de “la mobilisation autour des droits humains”. Un climat social qui se détériore Des universitaires révéleront que depuis des années, “la démobilisation organisée” se règle dans certains départements à travers “la gestion des carrières”, “la cooptation d'universitaires” et “les heures supplémentaires” pour “amadouer des enseignants”. D'aucuns ont affirmé que depuis 1999, les chefs de département, les doyens et les recteurs sont nommés par décret. Mais, l'année 2005 a vu “l'institutionnalisation” des responsables pédagogiques, comme les directeurs des études et les adjoints au chef de département. “Un nouveau système est mis en place progressivement pour tout museler, pour tout contrôler et réduire à néant la fonction de l'enseignant, pour que ce dernier devienne un simple exécutant”, a souligné une universitaire, en déplorant que l'université ne soit point ce lieu de négociation ni d'expression. Une autre enseignante a soutenu que le climat continue à se détériorer dans les campus universitaires et que les derniers évènements violents de la fac des sciences politiques n'en sont que la résultante. “Ce qui s'est produit à la faculté relève de la responsabilité de la tutelle et des responsables de l'administration”, a déclaré M. Djemaï, avant de rappeler : “La journée de protestation n'a rien à voir avec une journée de grève. Notre but, à travers la journée d'aujourd'hui, est de faire entendre la voix d'une élite, celle des universitaires.” Le responsable du Cnes a également informé qu'une déclaration sera diffusée très prochainement par son organisation, et portera sur les résultats de ladite journée de protestation. H. A.