Après, avoir publié L'enfant des deux mondes (Ed. de l'Aube 1998 - Ed. El Ibriz 2013) ; Filiation dangereuse (Chèvre Feuille étoilée, 2007) ; Eclats d'Islam, Chroniques d'un itinéraire spirituel et Les attentives, un dialogue avec Etty Hillesum (Albin Michel, 2009 et 2014), voilà que la plume sensuelle et l'âme spirituelle de Karima Berger renaissent avec Mektouba, un roman époustouflant de vérité qui dit toute la réalité, douloureuse mais vécue d'une société devenue matérialiste et dépourvue de sentiments. Il y est question de ce père, Hadj Ben Amar, qui vit à Alger, seul, abandonné par ses enfants, tous partis faire leur vie sous d'autres cieux – plus cléments semble-t-il – et qui décident un jour de lui envoyer une lettre collective qu'il reçut tel un couteau dans le cœur. Ils veulent connaître ses "dernières volontés" ! Comment lui, homme dévoué et intègre, ayant toujours dénoncé l'illégalité et honni la corruption, un être pieux et généreux, ayant de tout temps inculqué des valeurs morales et spirituelles aux membres de sa famille, comment peut-il être récompensé de la sorte par des enfants vils et ingrats qui n'attendent que sa fin et qui n'ont de préoccupation que l'héritage ?! Absents depuis longtemps, menant leur vie, qui en France, qui au Canada, voilà que Souad, Louisa et Amine se liguent un jour contre lui et, sous la houlette de la convoitise, veulent accaparer sa "destinée". Ils veulent déjà hériter de sa "Mektouba" ! "Sa maison, son paradis terrestre" où il a toujours fait bon vivre dans son jardin paisible, sous cet arbre de souvenirs, face à cette vue splendide qui donne au lointain sur une mer calme, à l'époque de Dalila, sa tendre épouse, partie trop tôt ; une mer devenue houleuse par révolte face à une progéniture qui empeste l'ingratitude et se nourrit d'insatiabilité. Mektouba, cette maison qui fut leur destinée pour y vivre heureux et y bâtir un foyer chaleureux, mais que le destin a fait chavirer. Dalila est partie trop tôt, la vie a basculé, le pays a dérivé, voire sombré, le temps est passé, les enfants ont grandi, puis sont partis. Mais Hadj Ben Amar est resté là, et le voilà aujourd'hui, meurtri, à contempler ce gâchis. Il s'est pourtant bien occupé de leur éducation ! Il a été pour eux un modèle de droiture et d'honnêteté. Sévère quand il le fallait, ouvert quand il le fallait ; il pensait pourtant avoir été un père exemplaire. Ses enfants ont baigné dans une double culture libre et sereine qui aurait dû apporter de meilleurs fruits. Ils ont grandi entre un héritage ancestral rigoureux et une vie paisible et moderne qui devait leur réussir. Mais comment est née cette tragédie ? Car pour Hadj Ben Amar, c'est une tragédie ! Il lui semble avoir failli à son devoir de père car ses enfants ont tout fait de travers. Mais... juste ses enfants à lui ? Et son pays ? Et les enfants de son pays ? Et ces enfants de partout ? Et cette violence tout autour de lui ? Hadj Ben Amar décide alors de donner une leçon de vie à ses enfants ; il y joindra une vraie preuve d'humanité qui leur restera gravée à jamais. Donner du bonheur à ceux qui le méritent vraiment, en toute sérénité, là est la leçon ! Mais il estime que sa mission n'est pas finie. Il se promet de dire, de raconter, d'écrire, afin que nul n'oublie. Dire ce mal qui le ronge de l'intérieur ; raconter des flashs de sa vie faite de joie et de douleur ; écrire à la manière d'une Karima Berger, sensuelle, cruelle mais fidèle. Une sensualité qui fait rythmer les mots tels des poèmes ; une cruauté qui utilise des termes violents mais nécessaires pour une remise en question ; avec toujours une fidélité dans la quête du beau, du spirituel et de l'humain. Mektouba, un roman percutant, sans tabou, mais qui fait mal. Un mal volontaire qui va creuser au fond des choses pour dire crûment et sans détour, ce qu'est devenu l'individu aujourd'hui : une machine de destruction massive, au sein de la famille, de la société et du monde entier. Samira Bendris Mektouba, de Karima Berger, Ed. Albin Michel, février 2016.