Ceux qui ont misé sur la perversion du sens à donner à ce 36e anniversaire du Printemps berbère et sur la démobilisation populaire doivent, assurément, se mordre les doigts. Fidèle à ce rendez-vous historique, la population de Kabylie a asséné, hier, une véritable gifle au pouvoir. C'était, en effet, un véritable raz-de-marée humain qui s'est déversé hier, depuis les premières heures de la matinée, sur la ville de Tizi Ouzou, pour prendre part aux deux marches programmées et démontrer au pouvoir, nous dira le président du bureau régional du RCD, que "plus sa provocation est grande, plus la mobilisation citoyenne sera d'ampleur". Il était 9h, et l'entrée du campus universitaire Hasnaoua était déjà littéralement prise d'assaut. L'ambiance est apaisée, sereine. Des centaines de fanions aux couleurs du RCD et de drapeaux de l'Algérie. 10h30, la marche du RCD s'ébranle. "Tamazight fellas tudert fellas l'mut" (tamazight, pour elle nous vivons, pour elle nous mourrons), lit-on sur la banderole mise en avant. "Pour l'officialisation effective de tamazight", lit-on encore sur une seconde banderole. C'est le slogan phare de cette marche. La manifestation à peine entamée, l'ex-président du RCD, Saïd Sadi, fait son apparition aux côtés de plusieurs cadres du parti, derrière une banderole sur laquelle on pouvait lire : "À vous les hydrocarbures, à nous l'histoire." Un carré plus loin, Mohcine Belabbas est au milieu d'une foule qui scande à tue-tête "Sadi yella yella, Mohcine yella yella". La foule avance lentement et ses rangs grossissent au fur et à mesure. Arrivée à la rue Lamali Ahmed, longeant le CHU de Tizi Ouzou, les habituels "Pouvoir assassin", "Assa azeka tamazight thella thella", "À Lounès, mazalagh d'Imazighen", "Djazaïr hourra dimocratia", "À bas la répression, liberté d'expression" fusent. Devant la première sûreté urbaine, des jeunes mettent le feu à deux quotidiens arabophones pour dénoncer leurs écrits qualifiés d'"anti-kabyles". Des slogans dénonçant la "provocation" d'Ould Ali El-Hadi et l'argent de la corruption sont scandés : "La Kabylie n'est pas à vendre", "Le printemps n'est à hypothéquer". À la place de l'ancienne mairie, la foule, dans un civisme remarquable, évite de s'approcher des tentes installées sur la placette par les autorités, sans doute pour entraver la marche. Mohcine Belabbas monte sur la benne d'une camionnette équipée de sonorisation et prend la parole sous le bruit assourdissant d'un hélicoptère de la police qui tournoyait à basse altitude. "Nous marchons chaque année, depuis Avril 80, pour la liberté et la citoyenneté, mais surtout pour tamazight, pour que tamazight devienne officielle de manière effective. Qu'elle devienne une langue de l'Etat, une constante nationale, et non une langue de statut de seconde zone. Mais aussi pour dénoncer la politique d'austérité appliquée pour la seule région de Kabylie et dire que le temps est venu pour que ce pouvoir parte", dira M. Belabbas sous un tonnerre d'applaudissements. Au wali de Tizi Ouzou qui a déclaré récemment que si ce n'étaient les cris de "Pouvoir assassin", il aurait marché le 20 Avril, Mohcine Belabbas répondra que "le pouvoir n'est pas seulement assassin. Il est criminel parce qu'il refuse de donner au peuple ses droits, il refuse la liberté et la citoyenneté et viole la loi et la Constitution et, pire encore, plus des gens sont corrompus, plus ils accèdent aux postes de responsabilité. Un système pareil doit tomber et laisser place à une période de transition". "Il faut en finir avec ce système qui a confisqué le pays que le peuple algérien a libéré", a également lancé Ali Yahia Abdenour qui, à 94 ans, a tenu à prendre part à cette marche. S. L.