Il portait avec noblesse et persévérance la tragédie et le drame du pays dans son chagrin, sa susceptibilité et son radicalisme qui confluaient droit dans le fleuve de sa rage de vivre, d'aimer et de servir. Taleb Ahcène, qui nous a quittés le 31 mai 2015, a eu droit, samedi dernier, à un hommage des plus singuliers. Organisée à Ath Abdelmoumen, son village natal, par les comités de villages et le mouvement associatif, cette manifestation a drainé une incommensurable foule composée d'intellectuels, amis et proches du défunt, des élus à l'APW de Tizi Ouzou et à l'APC de Tizi n'Tlèta, ainsi que de nombreux admirateurs venus d'ailleurs, voire même de l'étranger. "La politique, la culture et la bienfaisance se voulaient les sœurs jumelles pour ce personnage qui avait consacré toute sa vie au service de l'autre", nous dira, pour témoigner, un intellectuel venu de France, qui a décrit le défunt comme un intrépide militant de la cause amazighe. Dans ce sillage, les participants à cette cérémonie n'ont pas manqué de lui rendre un vibrant et émouvant hommage et se remémorer les bienfaits, métamorphosés en souvenirs, à l'identité amazighe qu'il avait toujours portée dans son âme. "Militant de talent et berbériste d'une rare clairvoyance, il a laissé derrière lui des souvenirs tellement impérissables qu'ils doivent faire l'objet d'une recherche/découverte pour les générations nouvelles", nous affirmera le P/APW de Tizi Ouzou, qui s'est tant félicité d'avoir connu Ahcène Taleb qu'il avait comme professeur à l'université Mouloud-Mammeri. Ce dernier enchaînera qu'"aujourd'hui, ce n'est pas une apologie funèbre que nous devons écrire sur lui, mais un témoignage modeste et un mémorial combien fugitif sur un homme fier de son algérianité et de son amazighité, voire de son authenticité, habillé de savoir et ouvert au progrès universel". Né le 18 janvier 1955 à Ath Abdelmoumen, il quittera son village en 1972 pour le lycée Amirouche de Tizi Ouzou puis le lycée technique d'Etat de Dellys où il fut, en 1975, lauréat émérite du baccalauréat en 1975 avant de bénéficier d'une bourse d'études qui le mènera à l'école polytechnique de Montréal où il obtient son diplôme d'ingénieur en mécanique en 1980. Durant la même période, il a adhéré à la création de la première association socioculturelle berbère du Canada à Montréal. De retour au pays, il sera enseignant en sciences physiques en 1983 à l'université Mouloud-Mammeri de Tizi Ouzou, où il contribua à toutes les activités du Mouvement culturel berbère, dont la revue Tafsut, éditée durant l'ère "dictatoriale", dont plusieurs numéros ont été tirés clandestinement chez lui, à Aït Abdelmoumen. Auteur d'un lexique français-berbère de technologie et participant au projet du dictionnaire général informatisé de la langue berbère, principal organisateur du 2e séminaire du MCB en 1989, Ahcène était un patriote éclairé de la liberté d'expression et du combat identitaire. Depuis 1996, son destin l'a conduit en France où il avait côtoyé la carrière d'enseignant en sciences physiques en s'inscrivant, en parallèle, en 3e cycle de linguistique berbère à l'Inalco de Paris, optant ainsi pour les locutions kabyles. Il était un intellectuel engagé dans les combats de son temps avant de rendre l'âme l'année dernière, à l'âge de 60 ans, à l'hôpital Casanova de Saint-Denis en France, suite à une maladie qu'il traînait depuis trois ans. Ses funérailles, non loin de son domicile, à Ath Abdelmoumen, le 5 juin 2015, furent des plus surprenantes tant il était accompagné par une immense foule qui venait lui exprimer un hommage particulier en guise de reconnaissance au sens de son parcours et, surtout, de ce qu'il a laissé derrière lui. Des complices qui, par leur présence, garderont la petite flamme d'humanité et de talent de celui qui s'est sacrifié corps et âme au soulagement de l'autre, avec une vive et lumineuse action de militantisme. Amant éternel de l'esprit, son élixir n'a jamais été en face de lui mais en lui... Qu'il repose en paix aux côtés des anges blancs. R. SALEM