Le président Abdelaziz Bouteflika s'est déclaré convaincu qu'une presse indépendante, pluraliste et libre, est indispensable “si l'on veut instaurer un régime démocratique et s'installer dans un système économique libéral”, dans un entretien au journal La Gazette de la presse francophone publié dans son édition de janvier-février. Toutefois, le chef de l'Etat a affirmé qu'il y a des journalistes qui outrepassent les limites de l'“acceptable" au nom de la liberté d'expression. Invité à donner son point de vue sur la position de certaines organisations étrangères, notamment la Fédération internationale des journalistes, qui s'“émeuvent" de la situation de certains responsables de journaux algériens, et plus généralement, de l'état des relations entre certains médias et les autorités politiques, M. Bouteflika a répondu : “Je sais à quoi vous faites allusion.” Et d'ajouter : “Mais il est bon de clarifier les choses. Il est certain qu'ici comme partout ailleurs, il y a des journalistes qui (...) vont au-delà de ce qui est acceptable au nom de la liberté d'expression. Dans ce cas, il est tout à fait légitime de faire appliquer la loi qui réprime de tels abus, aussi bien lorsqu'ils touchent des personnes privées que lorsqu'il s'agit du pouvoir lui-même”. Le chef de l'Etat a estimé que ces organisations doivent d'abord s'“assurer" qu'il n'y a pas eu dépassement de la part de leurs collègues avant de s'engager dans une action de protestation tout à fait “infondée”. “Mais le cas que vous évoquez, et qui semble avoir suscité l'émotion de ces organisations, et notamment de la Fédération internationale des journalistes, ne se rapporte pas à des délits de presse pour lesquels on pourrait invoquer le statut particulier de la presse”, a-t-il ajouté, dans une allusion au cas du directeur du journal Le Matin, Mohamed Benchicou, condamné l'été dernier à deux ans de prison ferme. “Ces cas relèvent du droit commun et c'est en tant que tel qu'ils sont traités, car il ne faut surtout pas oublier qu'un journaliste est aussi un citoyen qui reste soumis à la loi commune du pays”, a encore précisé le président Bouteflika. Mohamed Benchicou, actuellement détenu à la prison d'El-Harrach, avait été condamné pour “infraction à la législation sur les mouvements des capitaux” après la découverte de bons de caisse dans ses bagages à l'aéroport Houari-Boumediene d'Alger en août 2003, alors qu'il rentrait de Paris. Le président Bouteflika a également souligné que le cadre juridique dans lequel évoluaient les médias algériens est “aussi libéral, sinon plus, que celui qui existe dans d'autres pays, y compris dans les pays développés ; les limites apportées à la liberté de la presse étant celles exigées par la sécurité du pays, la dignité des citoyens et le respect des convictions de notre peuple”. Le chef de l'Etat a ajouté que “la liberté de la presse a pour contrepartie la responsabilité des journalistes qui sont tenus d'exercer leur profession conformément à un code de déontologie qui les astreint à un contrôle par eux-mêmes et par leur profession”. Ce n'est évidemment qu'à cette condition, a-t-il estimé, que “la presse peut justifier le rôle important qu'elle doit jouer dans la société, pour son éducation, son évolution et son information”. Interrogé sur la place qui doit être accordée, en démocratie, aux médias qui ne pensent pas comme le pouvoir, le président Bouteflika a affirmé : “Chaque journaliste est libre de ses engagements, pourvu qu'il n'outrepasse pas les règles de la déontologie et qu'il vibre avec les préoccupations réelles de la société dans laquelle il vit.” “Quant à la démocratie, c'est un objectif à atteindre par divers moyens, à commencer par l'éducation à la citoyenneté. Celle-ci a des règles et un contenu. C'est certes l'affaire de l'école, mais c'est aussi le rôle des médias qui ont un rôle important dans l'éducation de la population et dans la diffusion des règles de la démocratie. Une presse indépendante du pouvoir est absolument nécessaire pour jouer convenablement ce rôle et une telle presse existe en Algérie”, a-t-il ajouté. “Il peut y avoir divergence sur les méthodes, sur le rythme à imprimer au processus par rapport aux réalités culturelles, sociales, économiques, mais pas sur l'objectif ultime à atteindre. L'homme politique gère des situations réelles jonchées de pesanteurs, tandis que le journaliste relate des faits et manie des idées sans autres contraintes que celle que lui impose la déontologie, quand il s'en soucie", a encore expliqué le chef de l'Etat. À la question de savoir si les journalistes algériens étaient bien formés, M. Bouteflika a affirmé qu'il était “difficile de porter une appréciation d'ensemble sur le niveau de formation des journalistes algériens”. Toutefois il a ajouté que “beaucoup d'entre eux sont des professionnels confirmés, qui ont fait leurs preuves aussi bien dans la presse algérienne que dans la presse étrangère, et je pense qu'ils n'ont rien à envier à leurs collègues étrangers. La plupart sont sortis de nos universités et certains instituts de journalisme dont sont dotées certaines de nos universités. Leur formation ira en s'améliorant au fur et à mesure que se développe leur expérience", a-t-il souligné. Interrogé s'il fallait confier à une autorité indépendante le soin d'élaborer et de faire respecter les principes de la déontologie et s'il envisageait de rétablir le Conseil de l'information, qui a fonctionné de 1990 à 1994, M. Bouteflika a répondu : "Les journalistes doivent eux-mêmes assurer le respect des principes de déontologie de leur profession, mais la loi doit veiller de manière plus large à la protection de l'Etat, de la société et des partis.” R. B.