Nous sommes toujours bousculés par les atrocités commises à l'encontre des enfants. C'est insupportable. Notre tâche d'adulte est, avant tout, de les protéger, de leur laisser le temps de grandir, de les éduquer, et pourtant la réalité est tout autre ! Le phénomène de kidnapping d'enfants devient récurrent en Algérie. Les dangers menacent chaque jour un peu plus leur vie et les réponses ne sont pas à portée de main. L'enlèvement de la petite Nihal le 21juillet 2016 et l'annonce de son décès le 4 août 2016 par le procureur de la République des Ouacifs (Tizi Ouzou) met l'opinion publique algérienne face à une réalité douloureuse, atroce et odieuse. En Algérie, la disparition des enfants est un phénomène présent, continu, contre lequel une vigilance de tout moment doit être requise pour éviter de rallonger la liste des victimes. Nombreux sont les cas de disparition d'enfants, retrouvés dans la majorité des cas morts, qui défrayent la chronique plongeant la famille et la société dans un état de frayeur et de terreur constant. J'ai déjà eu l'occasion d'affirmer dans mes écrits et autres interventions que le kidnapping d'enfants n'est pas un phénomène nouveau en Algérie, et qu'il a déjà pris de l'ampleur, voire des proportions alarmantes. Yasser, Sanaâ, Abderrahmane, Chaïma, Soundous, Brahim, Haroun... et aujourd'hui Nihal et la liste reste ouverte, puisque les tentatives d'enlèvement se poursuivent sans qu'il y ait un arrêt à cette cauchemardesque série noire. Plusieurs de ces crimes abominables et monstrueux se sont terminés par le viol sexuel des victimes, suivi de leur assassinat crapuleux ne tenant aucunement compte de la vulnérabilité de ces êtres sans défense et frêles. Il faut rappeler que le viol d'un enfant est un acte extrêmement brutal et qu'il est surtout intentionnel, le viol d'enfants en bas âge ne peut, en aucun cas, être accidentel ou éventuel, il est le résultat d'une préparation, une prédisposition en attendant la détermination du moment de la commission délibérée de l'acte criminel. Même dans le cas où la victime ne décéderait pas, elle portera en elle des séquelles affreusement douloureuses, pénibles et dévastatrices. Il va sans dire que les faits qui président à mon propos et que des innocents destinés à un bel avenir et dont l'enfance ne devait être que synonyme de joie, de bonheur et de gaîté ont malheureusement croisé le chemin de sanguinaires sans foi ni loi, auteurs de crimes dont la sanction ne peut être qu'une condamnation suprême dans le cadre des lois de la République. S'agissant de la sanction contre ce crime, beaucoup d'encre a déjà coulé en soutien à la "lex talionis" ou loi du talion et par conséquent la mort pour la mort. Il est ici important de rappeler que quelle que soit l'horreur l'Algérie doit demeurer un Etat de droit où la sanction suprême intervient uniquement dans le cadre de la loi et est décidée par une autorité judiciaire chargée de trancher les litiges et punir les hors-la-loi, notamment ceux qui s'attaquent à l'innocence et à l'insouciance de nos gamins. La justice a, selon moi, pour but de mettre l'agresseur face à ses responsabilités dans l'agression, de le punir des actes qu'il a commis et de lui proposer, notamment par le biais de la peine de prison, une démarche de réparation qui pourra éventuellement lui permettre un jour de réintégrer la société humaine avec dignité. En l'espèce, il s'agit d'enlèvement, de viol sexuel et de meurtre avec préméditation. Nous sommes confrontés à des infractions horribles, répugnantes et successives. La peine capitale est apparemment le seul remède qui, selon certains, est le vœu de la "vox populis", si tel est le cas j'ajouterai en guise de consolation que la sentence doit être prononcée par une justice agissant dans le cadre de l'Etat de droit. Le rôle de la justice, en tant qu'institution sociale reconnue et acceptée par tous, est de permettre à chaque citoyen de renoncer à ses pulsions barbares et vengeresses pour se reconnaître dans l'attribution de peines mesurées qui rappellent que tous sont soumis à la loi, mais que cette loi est celle d'un Etat démocratique respectant la personne humaine. Si la société autorisait chaque personne qui a subi une injustice à se venger, alors la barbarie et la violence seraient partout et nous ne nous trouverions pas dans une société rassurante et pacifique. Il faut donc renoncer à la vengeance véhiculée par le fameux "œil pour œil, dent pour dent" et s'en remettre aux lois de notre République à commencer par la loi fondamentale qui ordonne que l'enfant doit être protégé par la famille, la société et l'Etat et que l'on réprime la violence contre les enfants (art. 72). La sentence doit être prononcée par l'institution judiciaire à l'issue d'un procès. En l'absence d'un procès, ou dans les cas où celui-ci ne serait pas réalisé par une institution reconnue, on serait devant une exécution sommaire ou un acte de vengeance. L'Algérie a aussi adhéré et ratifié la quasi-totalité des conventions internationales des droits de l'Homme, parmi elles la convention des droits de l'enfant en décembre 1992, ainsi que la Charte africaine des droits et du bien-être de l'enfant africain en juillet 2003. Tous ces textes ratifiés et publiés au Journal officiel de la République algérienne ont la primauté sur la loi, comme le stipule l'article 150 de la nouvelle Constitution : "Les traités ratifiés par le président de la République, dans les conditions prévues par la Constitution, sont supérieurs à la loi." Les article 293 et 263 combinés du code pénal algérien autorisent le juge à prononcer la peine de mort dans ces cas précis d'infractions successives abjectes et graves. Comme déjà mentionné plus haut dans mon propos, le crime contre un enfant est non seulement intentionnel et prémédité, mais aussi brutal et cruel allant jusqu'à entraîner la mort d'une victime en bas âge. Le principe juridique de proportionnalité doit être ici pris en considération et la prononciation de la peine de mort par un tribunal criminel est inévitable et s'impose d'elle-même si le tribunal criminel en est convaincu. Elle serait légale puisqu'elle intervient dans le cadre des lois sus-énoncées. Le législateur algérien a donc prévu la peine de mort, si l'enlèvement de l'enfant était suivi de violence ou d'agression sexuelle ou d'assassinat ou si c'était dans le but de demander une rançon. Cependant, bien que la peine de mort existe dans le code pénal, dans la pratique elle est abolie depuis 1993 parce que l'Algérie a signé à plusieurs reprises un moratoire onusien sur le gel de la peine de mort. Le dernier de ces moratoires remonte au 18 décembre 2014 (résolution de l'Assemblée générale des Nations unies 69-186 ), du coup elle n'exécute plus cette sentence. L'Algérie peut, si elle le souhaite, revenir vers l'exécution de la peine de mort pour ce type d'infractions graves et rien ne s'y oppose et plusieurs pays ont renoncé au gel au vu de la montée de la criminalité chez eux. Il est approprié ici de citer l'article 6 al. 2 du Pacte international sur les droits civils et politiques de 1966 qui autorise la sentence de mort pour les crimes les plus graves. Cette résolution (comme les autres résolutions de l'ONU qui l'ont précédée) n'a pas de valeur contraignante mais peut être vue comme le signe que la majorité des Etats souhaite remettre en cause la peine de mort. L'Algérie joue un rôle dynamique dans le concert des nations et notamment sur ce thème. Cette rétention est présidée par des raisons de morale historique, en effet combien de jeunes femmes et hommes ont été exécutés durant la guerre de Libération nationale ? Aujourd'hui, ils sont des figures de notre histoire, dont les noms sont donnés à des rues, des écoles..., à l'image d'Ahmed Zabana, guillotiné en juin 1956. C'est pourquoi, l'Algérie se devait d'abolir la peine de mort dès son indépendance et non se contenter d'un engagement provisoire à ne pas exécuter la peine de mort. Le problème ponctuel auquel on est confronté est celui de mettre fin aux enlèvements absurdes d'enfants et leur assassinat. Je suis convaincu que la justice saura prendre les décisions qu'il faut dans le cadre de l'Etat de droit et du respect des droits de l'Homme. Les cris évocateurs de "kisass" et vengeance ne peuvent que servir des activistes politiques animés la plupart du temps par un plan de carrière professionnelle et non par l'ordre républicain. Il est souhaitable que l'on s'attelle à créer un environnement protecteur de l'enfant, les affaires immondes, monstrueuses vécues devraient servir l'amélioration de la protection de l'enfant par la création de mécanismes au niveau des services de sécurité, des écoles, dans la société civile pour un engagement sérieux dans la protection de nos enfants contre les bourreaux qui les guettent. La société civile doit jouer un rôle dynamique de sensibilisation et de coordination entre les différents secteurs associés à la protection de l'enfance. Elle doit veiller au développement d'un environnement protecteur et travailler avec les partenaires traditionnels en vue du renforcement et de la consolidation de celui-ci. Beaucoup de progrès ont été effectués dans le domaine des droits de l'enfant, il y a cependant une absence dans la mise en œuvre des lois existantes. Il y a aussi l'insuffisance de certaines d'entre elles notamment la loi sur la protection de l'enfance publiée au Journal officiel n°39 du 15 juillet 2015 qui prend en charge la protection de l'enfance délinquante et non la protection de nos gamins potentiellement en danger de mort vu le nombre de prédateurs, souvent des malades qu'il faut démasquer et identifier par des moyens informatiques et autres s'il le faut. Aujourd'hui, tout le monde est concerné par ce phénomène qui prend une grande ampleur et l'implication de tous est indispensable pour réduire et mettre un terme à ce phénomène ravageur. Dr K. F. Professeur de droit, université de Constantine (Mentouri 1) Ancien vice-président du Comité onusien des droits de l'enfant Ex-vice président de la Commission de l'UA de droit international Membre du conseil d'administration de l'ACPF