Loin d'être ordinaire, le procès des 17 détenus de Ghardaïa, parmi lesquels le Dr Kamel-Eddine Fekhar, secrétaire fédéral du Front des forces socialistes (FFS) et militant de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l'Homme (Laddh), s'ouvre aujourd'hui devant la chambre criminelle du tribunal de la même ville. Poursuivis pour cinq chefs d'inculpation (destruction de biens de l'Etat, attroupement illicite, utilisation d'armes blanches, obstruction de la voie publique et incendie volontaire), les détenus, en prison depuis le mois d'octobre 2004, risquent, en vertu des articles 97, 98, 396 et 396 bis du code pénal, des peines allant de la réclusion à plus de 20 ans jusqu'à la condamnation à mort. Inédit dans la vallée du M'zab, cette cité mystique au calme légendaire, ce procès que d'aucuns qualifient à juste titre de “siècle” n'a pas manqué dès son annonce de provoquer une avalanche de réactions et d'actions de solidarité. Et pour cause, ces accusations disproportionnées qui sanctionnent d'ordinaire “une insurrection armée” charrient quelques considérations politiques. Pour de nombreux observateurs, en effet, les “charges” retenues ne visent qu'à “servir d'exemple” à ceux qui seraient tentés d'aventure de “protester” et, par ricochet, “d'empêcher l'élargissement de la dissidence citoyenne” après l'expérience de la Kabylie. Les élus du FFS, dont le Dr Fekhar est membre de la direction, ont observé hier, en guise de solidarité une journée de grève à travers de nombreuses APC et APW. Selon Karim Tabbou, chargé de communication, plus de 70% des élus ont suivi le mot d'ordre de la direction. Dans les assemblées où le parti est majoritaire, 9 APC à Sétif, 4 APC à Bordj Bou-Arréridj, 1 APC à Aïn Kercha, dans la wilaya d'Oum El-Bouaghi, l'APW de Béjaïa, celle de Tizi Ouzou, les élus d'Alger, de Boumerdès et de Bouira ont tous fait des délibérations envoyées à l'administration. Cette action intervient au lendemain d'entrevues des responsables du parti avec des responsables de certaines chancelleries occidentales à l'image de l'ambassadeur d'Italie. “Nous les avons sensibilisés pour agir diplomatiquement. Nous avons trouvé chez eux une oreille attentive, et ils se sont engagés à suivre de très près le dossier”, a indiqué Tabbou. Pour sa part, l'ex-secrétaire général du FLN, en l'occurrence Abdelhamid Mehri, a souhaité que le verdict de la justice de Ghardaïa ne “soit pas un obstacle sur le chemin, parsemé d'embûches, de la réconciliation nationale”. Dans un communiqué rendu public hier, Abdelhamid Mehri a estimé qu'“en criminalisant les faits et en occultant leur fondement politique, on n'ouvre pas le chemin ardu de la réconciliation”. Selon lui, “les évènements qui avaient secoué la région et qui peuvent se rééditer témoignent des restrictions imposées à la libre expression, à la pratique politique et aussi de l'absence de canaux de dialogue et de confiance”. “C'est un phénomène politique et social annonciateur d'une détérioration des relations entre l'Etat et les citoyens car émanant de la démarche adoptée depuis des années dans la gestion des affaires publiques. Il n'y a pas à l'horizon des indices d'une volonté d'un changement radical de ces pratiques”, a t-il ajouté. Considérant que les accusations sont “graves” et “sans fondement”, la Laddh estime de son côté “qu'il apparaît clairement que le pouvoir veut en finir avec toute médiation pacifique entre l'Etat et le citoyen”. “Ceux qui ont fait un tel montage s'inscrivent visiblement dans une logique de terrorisation de la société et de mise au pas de toute velléité de protestation et d'expression politique divergente”, soutient la Laddh. Avant d'appeler les partis politiques et les formations sociales à une action de solidarité, la Laddh considère qu'“une telle logique répressive annonce une dérive extrêmement dangereuse pour l'avenir du pays”. Pour rappel, les détenus de Ghardaïa ont été arrêtés lors des émeutes qui avaient secoué la région du M'zab en octobre dernier à la suite d'une descente des services de douanes chez les commerçants. Quant à Kamel-Eddine Fekhar, il a été arrêté lors d'une conférence animée la veille du cinquantenaire de la Révolution à Aïn Benian en compagnie de Hamrouhe, Mehri et Aït Ahmed. K. K.