Tapi au flan de l'Akfadou, le village de Mehagga, dans la commune d'Idjeur, a conservé tout le charme qui caractérise les villages kabyles. Ici la solidarité est une religion. La greffe de l'individualisme n'a pas pris. Elle a subi un rejet, comme le montrent toutes les initiatives communautaires lancées depuis des années par le village. "Lounis est unique." Son compagnon de lutte, Saïdani Arezki, n'a pas pu retenir ses larmes, en voyant les filles du fils du chahid Sadli Lounis dit Bouzid. Il reprend difficilement son récit sur les circonstances de la mort du chahid Bouzid, en 1957. "Nous étions venus de Moknéa pour tendre une embuscade à une section de l'armée française", se rappelle-t-il. Mais ils ont été surpris par la présence d'une autre section de l'armée française, venant de Mehagga. Un accrochage s'en est suivi. Le chahid Sadli Lounis a tenté d'arracher l'arme d'un soldat tué. En levant la tête, il prend une balle qui lui a transpercé la poitrine. Ses compagnons ont déplacé le corps du chahid Sadli Lounis quelques mètres plus bas, avant de prendre la fuite. Trois jours après, les combattants reviennent sur les lieux. Cependant, ils ne trouvent pas le corps. Aujourd'hui encore, personne ne sait qui a pris le corps ni l'endroit où est enterré Sadli Lounis. Ce récit est corroboré par le témoignage publié dans Les Messagers de l'Akfadou. Dans ce document, on peut lire : "Au petit matin du 2 octobre 1957, une section quitte le poste de Mehagga pour protéger, un kilomètre au nord, le chantier de réfection de la piste Tifrit - Mehagga. Trois équipes de chasseurs abordent, largement déployés, la corne de bois, à l'est du col des Bruyères. Soudain, un feu nourri couche les deux éclaireurs de pointe touchés mortellement et cloue au sol le reste de la section. La fusillade dure, toujours aussi intense, une dizaine de minutes. Alerté par les coups de feu, le poste déclenche ses appuis : mortiers, mitrailleuses 12,7 et même FM sur le flanc droit de la section. Dans le même temps, un tir de la batterie d'Aït Aïcha pilonne les arrières de la bande rebelle. Prise sous un déluge de feu, la katiba amorce son repli alors que les renforts de Mehagga arrivent sur les lieux de l'engagement ; l'échange de coups de feu se poursuit. Avec l'arrivée d'une section d'Iguersafen, puis de la 4e compagnie, les choses se compliquent pour les rebelles qui arrivent miraculeusement à décrocher au milieu des chasseurs en ne laissant qu'une grenade, un chargeur FM vide et une multitude d'étuis vides de calibres 7,62 - 7,5 - 9 mm. Le bilan est lourd : 4 chasseurs tués ; un sergent, un caporal et un chasseur blessés. De plus, les rebelles ont réussi à s'emparer des armes des morts !"
Hommage au martyr Le 20 août, les habitants du village Mehagga, niché dans la forêt mythique de l'Akfadou, situé à environ 75 km à l'est du chef-lieu de la wilaya de Tizi Ouzou, ont rendu un vibrant hommage à ce "lion du djebel" ainsi qu'à tous les martyrs, moudjahidine et "moussebline" du village. Ils ont érigé une stèle à sa mémoire au lieudit Tiguerwine, à l'endroit de l'accrochage devant une foule nombreuse d'hommes, de femmes et d'enfants. Si la présence du chef de la daïra de Bouzguène, des P/APC d'Idjeur et de Yakouren a donné un cachet officiel à la cérémonie, le mérite revient au comité du village et aux associations culturelle Rabehi-Mahfoud, sportive ASAK et écologique Sser n u-Drar, qui pendant plusieurs mois ont travaillé "d'arrache-pied" pour réussir l'événement. L'objectif était de se réapproprier l'histoire du village. Pari réussi. Les nombreux invités étaient tous émerveillés et surpris par les travaux réalisés par les habitants du village et le degré d'organisation des festivités de commémoration de la journée nationale du Moudjahid. Le comité du village s'est attelé depuis plusieurs jours à la réhabilitation et la restauration du cimetière des martyrs. De nombreux édifices ont été baptisés aux noms des chouhada, entre autres l'unité de soins, le stade matico. La place du village "thakhamt n'Slimane", réaménagée par les villageois, sent encore la peinture fraîche. Collée à la placette, la fontaine publique est superbement décorée. Une véritable œuvre d'art réalisée par le jeune Aoua Nassir. L'artiste a représenté une femme, adossée à une montagne, tenant une cruche à travers laquelle l'eau coule sans interruption du jour comme de nuit. Une exposition photo des martyrs, Sadli Mohamd-Arab, Deghaimi Tahar, Boubekki Saïd, Messad Arab dit "Salah", Mouri Meziane, Mokhtari Rezika... a été organisée, en présence de certains moudjahidine, encore vivant, à l'image de Hamadouche Hocine. Da L'hocine se dit satisfait de voir le cimetière des martyrs abandonné depuis des années enfin réhabilité. La solidarité, "une religion" à Mehagga Tapi au flan de l'Akfadou, le village de Mehagga, dans la commune d'Idjeur, a conservé tout le charme qui caractérise les villages kabyles. Ici la solidarité est une religion. La greffe de l'individualisme n'a pas pris. Elle a subi un rejet comme le montrent toutes les initiatives communautaires lancées depuis des années par le village. Ce n'est pas peu dire par les temps qui courent, caractérisé par l'individualisme et le chacun pour soi. L'organisation sociale du village est aussi veille que le village lui même. Tout se décide dans la cadre de tajmaât, même si les vieux ont quelques peu laisser la place aux jeunes qui ont admirablement repris le flambeau. C'est grâce à cette organisation et cette solidarité que le village a réalisé d'importants projets, il y a quelques années, notamment l'adduction en eau potable, estimé 1,2 milliard de centimes et le réseau d'assainissement. À Mehagga, les habitants ont, non seulement mis les mains à la pâte mais aussi à la poche pour financer ces projets. Aujourd'hui, au grand bonheur des habitants, l'eau coule à flots dans les robinets des maisons. Les membres du comité du village veillent au bon fonctionnement du réseau d'AEP. En cas de fuite, ils interviennent rapidement en dépêchant une équipe pour la réparer. Le comité du village ne s'arrête pas. Ses membres suivent de près l'entretien des infrastructures réalisées, en grande partie, grâce à la cotisation et aux dons des villageois, tout en réfléchissant à d'autres projets pour rendre la vie moins pénible pour les habitants. L'environnement, l'autre bataille L'environnement figure, ces dernières années, parmi les préoccupations majeures des habitants du village. Certains jeunes ont d'ailleurs prix l'initiative de créer une association écologique dénommée Sser n u-Drar, qui vient juste d'obtenir l'agrément. Les habitants n'ont pas attendu de créer cette association pour lancer des actions et faire de leur Méhaga un "des villages les plus propres" de la wilaya. En fait la protection de l'environnement et la préservation du cadre de vie sont, depuis toujours, au centre des préoccupations des habitats de Mehagga. Aujourd'hui, le comité du village s'attaque aux problèmes de ramassage des déchets, en mettant en place le tri sélectif. M. R.