Des bacheliers sont inscrits à l'Ensa, sans avoir la moyenne d'accès légal (appelée moyenne informatique d'accès et qui est de 13,63/20), sur dérogation du ministère de l'Enseignement supérieur, dénonce le collectif d'enseignants chercheurs. L'interpellation des plus hautes autorités du pays sur les "dysfonctionnements" et "préjudices" portés au développement de l'Ecole nationale supérieure d'agronomie (Ensa) et à son avenir, constitue-t-elle un dérapage ou une démarche condamnable qu'il faut étouffer et réprimer ? C'est à ce type de situation auquel sont confrontés des enseignants chercheurs de cet établissement de formation et de recherche, dont certains sont aujourd'hui exposés à des intimidations et à des sanctions. Alors que l'Algérie s'attelle à asseoir une nouvelle politique économique et au moment où les dirigeants appellent à "gagner la bataille de l'agriculture" et celle des compétences humaines, ainsi qu'à la réappropriation et à la protection des ressources semencières locales, des bacheliers sont inscrits à l'Ensa, sans avoir la moyenne d'accès légal (appelée moyenne informatique d'accès et qui est de 13,63/20), sur dérogation du ministère de l'Enseignement supérieur. En effet, pendant l'année universitaire 2015-2016, quelque 70 enseignants de l'Ecole d'agronomie d'El-Harrach, dans une lettre collective, ont interpellé le ministre de l'Enseignement supérieur sur ces anomalies, tout en exprimant leurs vives inquiétudes, quant à l'avenir de leur institution. Cette lettre et celles qui ont suivi, adressées à la tutelle, y compris à l'inspecteur général du ministère, sont restées sans réponse. Même réaction au niveau de la présidence de la République, alors que celle-ci a été instruite du problème, en août dernier. Mise en place d'une batterie de représailles Pour les enseignants chercheurs, ces dérogations destinées aux privilégiés sont "illégales", puisqu'elles accordent à l'étudiant bénéficiaire "un avantage indu". Sur un autre plan, ces mesures prises unilatéralement par la tutelle sont "une atteinte à la charte d'éthique et de déontologie universitaires" et portent préjudice aux "droits des étudiants les plus méritants". La réduction de la moyenne informatique d'accès pour environ une vingtaine d'étudiants est jugée donc comme une atteinte aux "intérêts" de l'Ensa, à sa "renommée" et à "l'esprit d'excellence" qu'elle est censée incarner. L'Ecole nationale supérieure d'agronomie, ex-Institut national agronomique, a été le premier institut de formation d'ingénieurs agronomes créé en 1905, à El-Harrach (Alger). Depuis l'Indépendance, l'établissement d'enseignement supérieur a assuré la formation de milliers d'ingénieurs agronomes (ils étaient 6 en 1962), dont certains ont exercé de hautes fonctions au niveau national (ministres, hauts cadres d'entreprise...) et international (FAO, Unesco, Icarda, etc.). À l'heure de la mondialisation et des grandes options qu'elle définit/ impose, les gouvernants en général et les responsables de l'Ensa en particulier, n'ont d'autres choix que de renforcer le système de formation agricole et de veiller à assurer une véritable relève, en laissant la place à la jeune élite et en mettant à l'écart tout ce qui relève de la médiocrité et des passe-droits, aux fins de faire face aux défis tant nationaux que régionaux et internationaux. Mais que se passe-t-il en réalité et plus exactement à l'Ensa ? Silence sur les "dérapages" pédagogiques en matière d'application de la réglementation, sur cette autre transgression ayant permis "l'accès au doctorat sans concours" et sur la menace qui pèse sur "la souveraineté" de l'institution, surtout après "le gel total du plan de développement". Quant aux enseignants dénonçant ces irrégularités et recourant, pour certains, à la presse écrite pour sensibiliser et alerter les autorités publiques, ils sont au banc des "dénonciateurs". Outre la décision du ministère de tutelle de les faire passer en conseil de discipline, les "insultes" de responsables et les menaces pesant sur certaines "têtes", une batterie de représailles a été mise en place, comprenant, entre autres, le passage devant le Conseil d'éthique et de déontologie et le retrait des charges pédagogiques. Conscients de leur démarche "patriotique", les enseignants ne cèdent pas. Ils demandent aujourd'hui une "enquête indépendante hors secteur" et la nomination d'une "personnalité scientifique externe à l'Ensa, capable de porter le projet d'excellence à la hauteur des défis de la sécurité alimentaire". Affaire à suivre... Hafida Ameyar