La guerre en Syrie a dépassé les frontières de ce pays pour devenir une lutte d'hégémonie entre plusieurs blocs de puissances étrangères, derrière les Etats-Unis, d'une part, et la Russie, d'autre part. La perspective d'une issue politique de la crise syrienne s'éloigne, laissant place à une dangereuse escalade des tensions qui risquent de conduire à une troisième guerre mondiale, avertissent de plus en plus de voix. Après l'échec de l'accord de trêve russo-américain, dont s'est rendu responsable Washington en visant dans un raid les forces armées syriennes, le régime de Damas, appuyé par Moscou, s'est lancé dans une chaotique opération de libération d'Alep des mains de l'opposition dite modérée et des groupes terroristes affiliés à Al-Qaïda et l'autoproclamé Etat islamique (Daech). Cette opération a donné lieu, sur le terrain diplomatique, à une série de tractations à l'ONU qui n'ont donné aucun résultat positif. Pis, les relations entre les pays opposés au président syrien Bachar al-Assad et ceux qui le soutiennent se sont nettement dégradées. Ainsi, le président russe Vladimir Poutine a reporté sa visite en France car Paris lui aurait signifié que la guerre en Syrie ne sera pas abordée lors de ses entretiens avec son homologue français François Hollande. C'est le cas aussi entre Moscou et Londres depuis deux jours, après les déclarations du chef de la diplomatie britannique, Boris Johnson, qui a qualifié la Russie de "paria international". Intervenant devant les députés britanniques, M. Johnson a accusé la Russie d'être responsable des bombardements des civils à Alep. D'autres responsables du gouvernement britannique s'en sont pris à la Russie qui a réagi, via le porte-parole de son ministère de la Défense, Igor Konashenko, en affirmant qu'avant de faire des "déclarations inintelligibles sur une prétendue responsabilité de la Russie dans la détérioration de la situation en Syrie", Londres aurait été mieux inspirée de s'intéresser à ce qu'elle aurait pu entreprendre pour aider ce pays déchiré par la guerre. La guerre en Syrie est aussi derrière une nouvelle crise entre l'Egypte et l'Arabie saoudite, après le vote du Caire en faveur du dernier projet de résolution russe au Conseil de sécurité des Nations unies. Le vote égyptien a mis les Saoudiens dans une colère noire, conduisant Riyad à suspendre ce mois-ci ses livraisons de produits pétroliers vers Le Caire (lire article ci-dessous). Des alliances fragiles Si les combats opposant à la fois le régime syrien à son opposition armée dite modérée et aux groupes terroristes, font craindre une prolongation du conflit qui dure depuis cinq ans et demi, les luttes géopolitiques font craindre, quant à elles, le déclenchement d'une nouvelle guerre mondiale. "Si cette guerre par procuration se poursuit, laissez-moi être clair, l'Amérique et la Russie vont arriver à la guerre", a indiqué le vice-Premier ministre, Numan Kurtulmus, à l'agence Anadolu, estimant que le conflit syrien avait mis le monde "au bord d'une large guerre régionale ou mondiale". Voisin immédiat de la Syrie, avec laquelle elle partage 882 kilomètres de frontière, la Turquie ne peut pas ignorer qu'elle fait aussi partie du problème en Syrie, tant avec ses positions politiques qu'avec les crimes qu'elle a commis contre les Kurdes syriens ces derniers mois. Après avoir soutenu Bachar al-Assad au début du conflit en mars 2015, le régime islamiste d'Ankara s'est rangé du côté d'une opposition syrienne armée hétérogène, avant de la délaisser après sa réconciliation humiliante avec Moscou. L'importance des intérêts économiques avec Moscou, notamment dans le domaine énergétique, explique le virage à droite d'Ankara. Cela ne l'empêche pas, évidemment, de jouer la même partition avec les pays du Golfe, avec lesquels le régime du président ultraconservateur, Recep Tayyip Erdogan, est, par ailleurs, en compétition pour étendre son influence au Proche-Orient. Du côté des puissances occidentales, les alliances sont aussi instables que les relations égypto-saoudiennes, pour ne citer que ces deux pays qui ont pour ennemi commun l'idéologie des Frères musulmans. Car, bien qu'opposés à la personne de Bachar al-Assad, les Etats-Unis ont consenti ces deux dernières années quelques concessions. Pour Washington, Al-Assad doit partir au moment précis de la mise en œuvre du processus de paix, ce qui n'est pas le cas de leur alliée la France qui rejette toute idée d'une transition politique incluant le président syrien. Face à la Russie qui s'est imposée comme un interlocuteur incontournable dans le dossier syrien, et aux Etats-Unis qui tiennent d'abord à préserver leurs intérêts et ceux de leurs alliés dans la région, la France se retrouve aujourd'hui quelque peu hors circuit. Ses projets de résolution sont automatiquement bloqués et rejetés par le veto russe au Conseil de sécurité de l'ONU. Après cinq ans et demi de violences meurtrières (plus de 300 000 morts et plus de six millions de déplacés) et de vaines tractations diplomatiques, la crise syrienne cristallise toutes les tensions régionales et internationales, dans un contexte où chaque partie essaie de tirer profit de cette situation, soit pour pouvoir imposer ses choix, soit pour éviter un débordement du conflit en dehors de la Syrie. Lyès Menacer