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Obama ou McCain : Ce qui attend le monde arabe
La politique étrangère américaine entre changement et continuité
Publié dans El Watan le 04 - 11 - 2008

La rue algérienne, et plus généralement la rue arabe, a rendu son verdict en jetant son dévolu sur le candidat démocrate Barack Obama. On l'a vu dans un récent sondage de la Radio internationale algérienne et dans les médias arabes. Les Arabes-Américains pour leur part, qui s'inscrivent dans une logique de rupture avec le parti républicain entamée après le 11 septembre 2001, voteront à 46% pour Obama. Mais si le sénateur démocrate accédait à la Maison-Blanche, les choses changeront-elles ? Le monde sera-t-il plus sûr ? Qu'en sera-t-il du monde musulman, des pays arabes et du Maghreb ? El Watan, en collaboration avec le Centre d'études maghrébines en Algérie (CEMA), a questionné des experts qui relativisent l'optimisme des uns et des autres. Le Président américain n'est que le garant de toute une politique planétaire, bâtie sur la sécurité et les enjeux de l'énergie. Les constantes s'imposeront au nouveau Président : l'alliance stratégique avec Israël, le maintien des régimes arabes autoritaires comme gage de stabilité et l'omniprésence dans les marchés pétroliers hier au Moyen-Orient, demain en Afrique. Et Washington n'abandonnera pas de sitôt ses engagements militaires en Irak ou en Afghanistan. Alors, que changera-t-il ? Les plus lucides des observateurs évoquent que l'Amérique réduira son arrogance face à un monde qu'elle a traumatisé avec sa guerre totale contre le terrorisme et les reculs en droits de l'homme occasionnés. Pour d'autres chercheurs, les Etats-Unis pourraient également s'ouvrir sur le dialogue, rompant la doctrine unilatérale qui a conduit à la catastrophe irakienne. L'Amérique pourrait alors se délester – relativement – du détestable héritage de George W. Bush qui a profondément creusé le fossé entre le Nord et le Sud et qui a cruellement joué sur la corde du « choc des civilisations » pour justifier une politique étrangère belliqueuse.
Sur la politique énergétique ?. Francis Perrin, directeur de la rédaction de la revue Pétrole et Gaz arabes
« Sur la base des déclarations faites pendant la campagne, les deux candidats ont exprimé leur volonté de réduire fortement la dépendance des Etats-Unis du pétrole importé, en particulier du Moyen-Orient. Obama poussant vers les énergies renouvelables, McCain vers le charbon, les moyens d'y parvenir seraient différents mais si l'un ou l'autre mettait en œuvre cette politique, tous les pays producteurs de pétrole en ressentiraient les effets. Le fait de moins dépendre du Moyen-Orient n'exclurait pas d'augmenter les importations d'autres régions, comme l'Afrique ou la mer Caspienne. Mais si les Etats-Unis réussissaient à diminuer de façon importante leurs importations du Moyen-Orient, l'impact sur les prix, en baisse, affecterait tous les pays producteurs jusqu'au Venezuela, ce qui ne serait pas pour déplaire aux Américains. Toutefois, il faut être prudent car tout dépendra de la capacité du futur Président, quel qu'il soit, d'imposer sa politique énergétique. On a déjà vu plusieurs candidats, démocrates ou républicains, bloqués par le Congrès dans leurs projets. Réduire la dépendance au pétrole fait partie des mythologies américaines ! Nixon dans les années 1970 avait déjà envisagé un plan pour réduire la dépendance énergétique des Etats-Unis. Les années qui ont suivi ont montré très largement qu'il s'agissait d'une chimère. Pour cette raison, je ne crois pas que l'un ou l'autre aient vraiment les moyens d'appliquer leur programme, d'autant que, par ailleurs, il leur faudrait déployer de réels efforts pour développer les énergies alternatives à l'intérieur du pays. »
Sur les relations avec le Maghreb ? . Barah Mikaïl, chercheur à l'Institut de relations internationales et stratégiques
« La politique américaine au Maghreb n'obéit pas à la même logique que celle du grand moyen-Orient (GMO). Les Américains veulent consolider les gouvernements en place car ils veulent pouvoir rebondir sur une stabilité politique garantie par la nature autoritaire des régimes. Pour preuve, les relations très cordiales entre les Etats-Unis et l'Algérie ou encore le rapprochement manifeste entre les Américains et les Libyens, suite au renoncement de Khadafi aux armes de destruction massive. Le projet Africom (projet de base militaire US en Afrique) ou l'initiative pan-sahélienne, à laquelle s'est ralliée l'Algérie, sont d'autres preuves que les Américains veulent maintenir la stabilité au Maghreb. »
Souleyma Haddaoui, chercheur sur le processus de lobbying des musulmans américains
« Il faut d'abord rappeler que le mandat Bush a constitué un véritable échec en matière de politique étrangère. Face à cela, les Etats-Unis sont plus que jamais conscients qu'il faut changer de voie. Le soutien de Colin Powell à Obama ainsi que son discours sur les musulmans sont révélateurs de cette tendance, comme l'est la création de l'US Muslim Engagement Project en 2006, qui regroupe Madeleine Albright et Richard Armitage entre autres, ainsi que tout un staff d'analystes musulmans américains. » « Quant à la question de savoir quelle politique Obama ou McCain mènera vis-à-vis du monde arabe, nous avons pu voir, à travers les campagnes de l'un et de l'autre, se dessiner une tendance très distincte : Obama semble plus ouvert au dialogue et rejoint cette volonté de changement. Il a déclaré qu'il était même prêt à négocier avec l'Iran, alors que McCain poursuivrait la politique catastrophe de Bush en bombardant tout ennemi potentiel. En un mot, c'est la course entre le ‘soft power' et le ‘hard power' pour rejoindre la Maison-Blanche. »
Sur la politique au Moyen-Orient ? . William B. Quandt, professeur de Relations Internationales, université de Virginie
« Obama a dit qu'il préférait mener une politique axée sur la diplomatie active plutôt que sur la force militaire et qu'il était prêt à se rapprocher de pays comme la Syrie ou l'Iran, qui ne sont pas des alliés des Etats-Unis. A l'inverse, McCain ne s'engagera pas personnellement. Il a même pris une position très agressive envers l'Iran en disant qu'il était prêt à utiliser la force. Obama est davantage prêt à accepter les régions du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord telles qu'elles sont et à ne pas vouloir les modeler comme l'Irak, ce qui a mené à une véritable catastrophe. Quant aux relations avec le Maghreb, je pense qu'elles continueront à être bonnes. Si au lieu de choisir un conseiller au fait des questions moyens-orientales, un homme comme Robert Marty, spécialiste du Maghreb, était choisi comme conseiller, on peut imaginer une politique plus imaginative envers l'Afrique du Nord. »
Barah Mikaïl, chercheur à l'IRIS
« L'histoire l'a prouvé : quelle que soit la couleur de l'administration au pouvoir, des constantes s'imposent, que ce soit au Moyen-Orient ou dans le reste du monde. Au Moyen-Orient, Obama comme McCain ont été très clairs : ce qui compte, c'est la sécurité d'Israël. On pourrait avoir une différence de méthode – je pense notamment que l'on va s'éloigner de l'arrogance de l'Administration Bush – mais au-delà de cela et dans l'aboutissement, je ne vois pas de tournant prometteur. En ce qui concerne l'Irak, MacCain s'est clairement exprimé en faveur de la continuité. Pour lui, cette guerre est un succès. Du côté d'Obama, la tonalité est beaucoup plus critique. Mais dans les deux cas, c'est le texte sur l'avenir des relations américano-irakiennes jusqu'en 2012 qui va s'imposer. Or, ce texte sera rédigé avant le 20 janvier 2009, date à laquelle le nouveau Président prendra ses fonctions. La question est de savoir si les Etats-Unis auront toute la latitude d'agir ou s'ils seront limités par le gouvernement irakien. Quand bien même Obama voudrait retirer les troupes d'ici dix-huit mois, la situation sur le terrain va être plus forte. »
Alain Gresh, directeur adjoint du Monde Diplomatique
« La politique américaine dans la région est un échec total, à savoir en Afghanistan, en Irak, au Liban et en Palestine. Quelle que soit la future Administration, il va falloir des ouvertures. Si Obama est élu, les ouvertures seront plus grandes. Il y a prise de conscience que la voie de la violence armée ne débouche sur rien. Que ce soit en Afghanistan où l'on parle de négociation avec les talibans ou en Irak ou ailleurs. Il se pourrait qu'il y ait une réévaluation de la politique américaine. Mais, il ne faut pas oublier que l'alliance stratégique entre les Etats-Unis et Israël ne va pas changer avec McCain ou Obama. Ce qui va changer, c'est la prise de conscience que la situation de guerre menace les intérêts américains. On ne voit pas en quoi la création d'un Etat palestinien remet en cause la domination américaine dans la région. Au contraire, cela peut diminuer les appels à la violence pour faire face à l'occupation israélienne. Ce discours, on le tient depuis vingt ans, mais il ne s'est jamais traduit dans la politique de Washington. Il existe un lobby pro-israélien aux Etats-Unis composé de la communauté juive, organisée à travers l'AIPAC, et de fondamentalistes chrétiens qui jouent un rôle important au sein du Parti républicain. Au-delà des lobbies, les intérêts stratégiques des Etats-Unis et d'Israël coïncident. C'est cela qui est la base de l'alliance. Cela dit, l'avenir d'Israël est au Proche-Orient. Il faut vivre avec les voisins, pas avec la force. On ne peut vivre en dominant les autres. En Irak, la question est le calendrier de départ des troupes américaines. Il n'y pas d'autre solution. La présence américaine n'est pas une garantie contre la guerre civile. Même après le départ, la reconstruction sera difficile. Les Américains ont détruit ce pays et renforcé les tensions entre les communautés sunnites et chiites, entre Arabes et Kurdes... Ce n'est pas aux Algériens que j'apprendrais que les peuples n'ont pas envie d'être dirigés par les étrangers. Même logique en Afghanistan où la situation est plus compliquée avec le poids des tribus. Il faut aller à un gouvernement d'union nationale avec toutes les forces qui comptent. La réalité est que les Américains ont déjà perdu la guerre en Afghanistan. Malheureusement, Obama et McCain disent qu'il faut transporter les troupes d'Irak vers l'Afghanistan. Un mauvais choix. »
Yahia Zoubir, professeur de Relations Internationales, Euromed Management, Marseille
« En général l'attitude d'Obama renseigne qu'il y aura changement. Il veut retourner la situation en luttant contre l'anti-américanisme qui est exprimé partout à travers le monde et pas seulement dans le monde arabe. Avec l'Iran, on assisterait à un grand changement : réunir plutôt que menacer. Pour l'Irak, on comprend pourquoi l'Administration actuelle veut accélérer l'accord sur l'avenir de ses troupes, car Obama a franchement choisi l'option du retrait. Concernant le conflit israélo-palestinien, le futur président devra attendre l'installation du prochain gouvernement israélien. On a reproché à Obama ses déclarations sur Jérusalem, jugées pro-israéliennes, mais il ne faut pas perdre de vue la différence entre les discours électoral et post-électoral. Là, si Obama est élu, il doit réparer ce qu'a fait Bush. En tout cas, rien ne peut être pire que l'actuelle Administration. Il n'y aura plus cette attitude va-t-en-guerre et je pense qu'on retournera au multilatéralisme américain. Pour la lutte antiterroriste, je ne pense pas qu'il y aura de changement. Obama a indiqué qu'il se mettrait face aux dirigeants arabes pour dire ‘OK, on coopère dans ce domaine, mais il faudra de votre côté engager des réformes'. Le Congrès lui-même a freiné le projet de l'Africom, perçu comme une militarisation de la politique étrangère américaine. »
Adlène Meddi, Fayçal Métaoui, Mélanie Matarese


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