Résumé : Aussi préoccupée qu'elle était, Keltoum tente de trouver des réponses logiques aux questions de son fils. Le vieux couple avait peut-être Choukri avec lui, mais n'aura pas le courage d'intenter à sa vie. Avec l'âge, Khadidja appréhendait la solitude. C'est ce qui explique ses motivations. Racim se reverse un café. -Narimène dort trop ces derniers temps. Je vais devoir demander à son médecin de réduire les doses de ses médicaments. Keltoum s'arrête d'écosser ses petits pois et s'essuie les mains. -Je n'en vois vraiment pas l'utilité de demander une telle chose au médecin. Il est spécialiste et sait ce qu'il fait. Et puis Narimène est passée par l'enfer, elle a bien le droit de se reposer. -Je sais. Mais trop de sommeil nuit aussi à la santé. Elle devrait plutôt penser à sortir de temps à autre. Cela lui évitera de retomber dans sa dépression. -Elle le fera sûrement dès qu'elle en aura envie. Par contre, le sommeil est la meilleure thérapie qui soit dans son état. Je veux dire pour une femme enceinte. -Une femme enceinte ? -Oui. Narimène est enceinte, mon fils. Racim dépose brutalement la tasse de café qu'il avait entre les mains et éclabousse sa mère. -Hé doucement ! Ne me brûle pas. Un peu confus, il se lève et prend une éponge pour essuyer la table, puis tend une serviette à sa mère. -Pardon maman. Je ne voulais pas en arriver là, tu le sais bien. Mais pour une surprise, c'en est vraiment une ! Personne n'a donc jugé opportun de me mettre au courant de cette grossesse ? Keltoum s'essuie le bras et sourit. -Je ne pouvais devancer les choses Racim. Narimène est enceinte de deux mois. Elle voulait te l'annoncer durant vos vacances. Mais les choses ont pris une autre tournure. Racim soupire. -Narimène est très mal dans sa peau. Elle risque de provoquer une fausse couche si elle continue de prendre des psychotropes. Nous allons nous préparer donc à perdre un second enfant. Keltoum secoue la tête. -Ta femme est intelligente. Elle a déjà discuté avec son médecin de cette éventualité, et il l'avait rassurée. Ce qu'elle prend en ce moment n'est rien d'autre que quelques tranquillisants. Racim garde le silence. Il ne savait plus s'il devait se réjouir de la venue d'un autre enfant, ou pleurer la disparition du premier. La perspective de devenir père pour la deuxième fois l'aurait rendu heureux, si le drame qu'ils vivaient tous en ce moment n'était pas venu entacher leur joie. Keltoum le pousse du coude. -Va voir ta femme. Elle s'est sûrement réveillée. Cela lui fera plaisir de te revoir. Docile comme un enfant, il se lève et se dirige vers sa chambre. Abdelkader prend un mouchoir et s'essuie le front, avant de se laisser tomber dans l'herbe. Il n'avait plus la force de ses vingt ans, et travailler la terre ne l'enchantait guère. Il a toujours été taxieur et ne revenait au bled que pour de courts séjours lors de certains événements ou des vacances. Mais maintenant qu'ils ont décidé de rester définitivement dans ce coin perdu, lui et Khadidja, il devrait trouver le moyen d'occuper son temps et de subvenir à leurs besoins. La terre était sèche et dure. Abandonnée depuis des décennies, elle ne pouvait que réclamer plus d'effort pour reprendre sa fraîcheur. Il regarde autour de lui. Quelques hectares s'étalaient à perte de vue. Des arbres fruitiers donnaient encore quelques fruits saisonniers. Les orangers, les citronniers, les figuiers, les pêchers, les abricotiers. Et la vigne ne semblait pas non plus être avare. Plus bas, un petit ruisseau coulait, ce qui permettait un arrosage régulier. Par contre, pour penser à planter quelques légumes, il va falloir encore du temps. On était au milieu de l'après-midi. Il était descendu au petit village du coin pour acheter du pain et quelques victuailles, puis était remonté. Khadidja avait lavé le petit et l'avait changé avant de lui donner son goûter. Ils l'avaient prénommé. Enfin, elle l'avait prénommé Sofiane. Un prénom qu'elle avait toujours porté dans son cœur. Mais l'enfant ne répondait pas encore à son nouveau prénom. La plupart du temps, il refusait de parler et pleurait. Ces deux derniers jours, Abdelkader lui avait montré le jardin, et il s'était amusé à poursuivre un escargot qui entamait une ascension sur un arbre. Il l'avait taquiné avec un morceau de bois jusqu'à ce qu'il disparaisse de sa vue. Puis s'était retourné vers un amas de terre et s'était sali en tentant de construire quelque chose. Un château peut-être. Kader lui avait donné un petit seau d'eau et l'avait aidé à le remplir au ruisseau. Ce qui avait paru l'amuser au premier abord. Puis, fatigué et lassé, le petit s'était remis à pleurer en demandant sa maman. Khadidja les avait rejoints et l'avait pris dans ses bras pour l'emmener à la maison. Kader pousse un soupir. Sa vie avait basculé du jour au lendemain. D'habitude, à cette heure-ci, il était attablé avec ses vieux amis au café du quartier et entamait d'interminables parties de dominos, sans penser ni à planter, ni à arroser, ni à cueillir quoi que ce soit. Mais pourquoi avait-il fait la bêtise d'emmener ce petit à la maison ? Il aurait pu le conduire directement au commissariat le plus proche et s'en laver les mains. (À suivre) Y. H.