De grandes incertitudes pèsent sur l'évolution des prix du pétrole. Après un long parcours du combattant de plus de deux ans, les membres de l'Opep sont enfin parvenus à un accord, d'abord entre eux puis avec les exportateurs hors-Opep, sur une réduction de la production pour rééquilibrer les cours du brut. L'Opep s'est engagée à réduire sa production de 1,2 million de barils/jour (mbj) après deux réunions laborieuses à Alger fin septembre 2016 et à Vienne fin novembre 2016. Il n'en fallait pas plus, le 10 décembre à Vienne, pour entraîner dans cette dynamique les non-Opep, jusque-là hésitants, qui se sont engagés à réduire leur production d'environ 558 000 bj. Il convient de souligner, ici, le rôle déterminant joué par l'Algérie qui, directement ou à travers le Haut-Comité technique qu'elle présidait, a su allier diplomatie, habileté et persévérance pour rapprocher les points de vue. Sans oublier celui de l'Arabie Saoudite qui, en assouplissant sa position, a entraîné l'adhésion des membres encore récalcitrants. Après ce long parcours du combattant, l'organisation semble avoir repris du souffle dans son rôle historique de régulateur du marché. Mais un rôle affaibli dans le contexte du nouveau paradigme pétrolier qui s'est installé dans la durée avec la révolution des hydrocarbures de schiste. L'affaiblissement de l'Opep en tant que régulateur du marché face aux hydrocarbures de schiste. Les choses ne sont plus les mêmes sur la scène pétrolière depuis une dizaine d'années avec l'invasion du marché par les hydrocarbures de schiste. Les gros producteurs du Golfe avec à leur tête le royaume saoudien voient d'un très mauvais œil l'arrivée de ces nouveaux intrus qui viennent leur disputer des parts de marché et ont décidé de les en débarrasser au plus tôt. Pour y parvenir, ils ont opté pour une stratégie qui consiste à inonder le marché dans le but de faire chuter les prix et éliminer les producteurs à coûts élevés qui ne peuvent survivre à des prix bas. Si les Saoudiens ont pensé qu'en agissant ainsi ils pourraient gagner leur bataille contre les hydrocarbures de schiste et s'en débarrasser définitivement, ils se sont lourdement trompés. En effet, ces hydrocarbures ne font que plier comme un roseau sous la tempête de la chute des prix mais sans jamais rompre. Dès que la tempête cesse, ils se redressent aussitôt pour réoccuper le terrain. Les Saoudiens peuvent les neutraliser provisoirement mais au prix d'un manque à gagner intenable (...). En d'autres termes, les hydrocarbures de schiste agiront désormais comme un contrepoids puissant tirant les prix vers le bas chaque fois que les pays Opep et hors-Opep réduiront la production pour les relever. D'autant plus qu'en cherchant à les étrangler, leurs adversaires leur ont rendu un grand service en les incitant à se renforcer technologiquement et à réduire les coûts pour mieux résister à la chute des prix (...). Effectivement, les Saoudiens semblent avoir fini par se rendre à l'évidence avec un nouveau ministre de l'énergie plus réaliste qui a considérablement assoupli la stratégie de son prédécesseur au point de s'engager à réduire, de 500 000 b/j la production du royaume. Ils ont également fait entendre raison aux non-Opep, avec à leur tête la Russie, qui se sont engagés à réduire de 558 000 b/j leur production Conclusions Il est évident que l'accord OPEP/non-OPEP stimulera à la hausse les cours du pétrole mais ceux-ci resteront probablement modestes. En tout cas, ils ne seront pas à la hauteur de l'effort consenti pour réduire la production car : 1. Les hydrocarbures de schiste, comme expliqué plus haut, tireront à coup sûr les prix vers le bas. Il deviendra alors nécessaire de réduire encore plus la production pour atteindre les prix qui auraient pu être obtenus sans l'interférence des schistes. 2. Il existe trois acteurs majeurs sur la scène pétrolière : l'Opep, les non-Opep et les producteurs de schiste. Les deux premiers se sont engagés à coopérer pour réguler le marché. Temps que le troisième n'y est pas associé, sa rivalité avec les deux autres ne pourra qu'affecter négativement les prix. 3. Historiquement, les quotas n'ont pas été respectés avec d'importantes quantités de brut écoulées clandestinement. Il suffit, pour s'en convaincre, de comparer les statistiques d'exportation de l'Opep à celles l'AIE qui leur sont toujours plus élevées de plusieurs centaines de milliers de b/j. 4. Le nouveau président américain a déclaré vouloir développer à outrance les hydrocarbures de schiste et le charbon. Il en résultera un accroissement de l'offre d'hydrocarbures avec baisse des prix. 5. Basé sur l'expérience du passé, il a rarement été possible d'obtenir un consensus au sein de l'Opep chaque fois qu'il a été question d'une quelconque réduction de la production et de sa répartition entre les membres. Leur demander un effort supplémentaire pour réduire encore plus la production relèvera presque de l'impossible. 6. À propos de réduction, il n'est pas évident que la baisse de 1,2 mbj auxquels viendront peut-être s'ajouter les 558 000 b/j promis par les non-Opep, sera suffisante pour faire remonter les cours à un niveau suffisant. 7. Il est clair qu'une hausse des prix générera des revenus supplémentaires qui compenseront largement les pertes dues à une production réduite sans quoi l'opération ne servirait à rien. Si le profit ainsi réalisé continue à augmenter en baissant encore plus la production, pourquoi ne pas le faire jusqu'à atteindre un juste milieu entre les intérêts des pays exportateurs et ceux des pays importateurs. Mais cela est plus facile à dire qu'à réaliser. Par conséquent, ces contraintes et incertitudes laissent présager une hausse plutôt modérée des cours du brut qui fluctueront probablement autour de $60 si les accords sont respectés. Ils permettront d'atténuer la crise mais pas de la surmonter. Quant aux anciens prix de $100 et plus, il ne faudra plus y compter pendant très longtemps, sauf évènement exceptionnel. Il convient donc de rappeler à nouveau l'urgence de sortir d'une économie mono-rentière qui vit au rythme des fluctuations imprévisibles des cours et de privilégier la transition vers une économie diversifiée qui prend beaucoup de retard alors que les recettes pétrolières n'en ont plus pour très longtemps. M. T. Ancien responsable à Sonatrach, spécialiste en énergie, ancien directeur à Sonatrach. [email protected]