Bien que sa conférence prévue à Bouzeguène ait été interdite par les autorités, Kamel Daoud était, hier, à Tizi Ouzou où la vente-dédicace de son nouveau livre, "Mes indépendances", a eu lieu en présence d'une foule nombreuse à la librairie Multi-Livres Cheikh-Omar, du centre-ville. En marge de cette rencontre avec son public, Kamel Daoud n'a pas hésité à accepter de réagir à l'interdiction de sa conférence prévue dans la même journée d'hier à l'invitation de l'association culturelle Tiewinin. "J'ai été surpris d'apprendre l'annulation de ma conférence. C'est quelque chose de désolant qu'on en arrive à interdire l'accès à un public. Je ne comprends pas le sens de cette mesure. Je ne suis pas traître à mon pays, je suis Algérien, je vais à la rencontre des Algériens pour signer des livres, je ne vois pas en quoi cela est dangereux. Interdire à un écrivain de parler c'est beaucoup plus tragique et beaucoup plus dangereux", a-t-il réagi non sans ajouter : "Je suis effaré par le retour de l'autoritarisme. Je ne comprends pas pourquoi on essaye d'immobiliser totalement une société qui bouge. Nous ne sommes pas des tubes digestifs, nous sommes des citoyens, des gens qui réfléchissent, qui écrivent, d'autres gens qui protestent, et d'autres qui construisent. Mais immobiliser un peuple c'est le tuer." Tout en se réjouissant de rencontrer, dit-il, un lectorat qu'il ne connaissait pas, il a estimé que la meilleure récompense est de rencontrer. "Même lorsque les gens ne vous aiment pas ou ne sont pas d'accord avec vous, on se sent vivant lorsqu'on les rencontre. Ça me donne l'impression que je ne parle pas dans le vide, qu'avec des réactions positives ou négatives on se sent lu." Interrogé sur les polémiques que ses écrits ont soulevées, Kamel Daoud a considéré que c'est plutôt positif. "Cela veut dire que je ne laisse pas indifférent", a-t-il répondu. "Faute de débat je préfère au moins supposer que je provoque la réflexion sur certains sujets. Pourquoi laisser certains champs de réflexion à autrui. Pourquoi il doit être interdit à l'intellectuel démocrate laïque de réfléchir, par exemple, sur la liberté, la sexualité et le corps. Est-ce que c'est de l'exclusivité religieuse ? Non ! J'ai le droit de le faire. Mais si ça provoque des polémiques c'est qu'il y a des résistances, et s'il y a des résistances c'est qu'il y a des tabous et du conservatisme, parce qu'il y a de l'immobilisme. Que je provoque des polémiques je le prends pour un compliment", a-t-il expliqué affichant une véritable allergie à l'unanimisme. "Je ne pense pas posséder la vérité. J'essaye juste de participer à une réflexion qui aboutit à convaincre les gens qu'ils ne possèdent pas la vérité parce que dès que chacun croit posséder la vérité on finit par s'entre-tuer à la fin et on l'a fait d'ailleurs", a-t-il soutenu considérant que "la maladie de l'Algérie c'est l'unanimisme, c'est la pensée unique et la non-pensée unique". Samir LESLOUS