- Trois magistrats placés sous mandat de dépôt pour corruption - Dix autres sous contrôle judiciaire et vingt suspendus de leurs fonctions pour négligences graves - Un directeur de prison... en prison pour avoir introduit des stupéfiants dans son établissement. En s'engageant à “nettoyer la société” des corrompus et des corrupteurs et à faire “tomber des têtes”, le premier magistrat du pays s'attaque en priorité à “ses pairs”. Les menaces qu'il a proférées, la semaine dernière, à la conférence nationale sur la réforme de la justice, contre les magistrats véreux et leurs manipulateurs n'étaient pas vides de sens. Manifestement, elles expriment la volonté des pouvoirs publics à assainir le corps de la magistrature. La réactivation, ces dernières années, du rôle de l'Inspection générale du ministère de tutelle confirme cette intention. Sur la base de ses investigations, le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) a décidé d'une série de sanctions en février dernier. L'institution présidée par Abdelaziz Bouteflika avait ordonné la radiation de huit juges et diverses pénitences allant de la mutation à la rétrogradation. Au cours de sa prochaine session, elle aura à examiner une série d'autres cas disciplinaires. Actuellement, une quarantaine de magistrats fait l'objet d'enquêtes administratives conduites par l'Inspection générale de la chancellerie. Son responsable, M. Ali Sahraoui, confond ses prérogatives avec celles du juge d'instruction. Son objectif consiste à débusquer dans les cours et les tribunaux du pays les magistrats qui font fi de l'éthique et de la réglementation. Pour ce type de violations, vingt d'entre eux sont sous le coup de mesures de suspension, et ce, en attendant le verdict du CSM. Dix autres, aux charges plus sérieuses, font l'objet de poursuites pénales et sont laissés en liberté provisoire. Trois juges sont actuellement en détention préventive. Les faits retenus contre eux concernent des délits de corruption avérée. “Sur les 8 000 magistrats que nous avons, ceux qui sont en prison ne constituent pas des masses”, note M. Sahraoui avec l'intention de circonscrire l'ampleur du scandale. Cependant, de son propre aveu, la justice n'est jamais à l'abri de ce genre d'esquille. Toutes les affaires délictueuses susmentionnées remontent à 2004 et au premier semestre 2005. “Elles seront présentées au Conseil supérieur de la magistrature dès qu'il sera installé par le chef de l'Etat”, confie le Monsieur Propre de la chancellerie. Ali Sahraoui assistait au séminaire arabe sur l'inspection judiciaire, qui se tenait, hier, à l'hôtel des magistrats à Ben Aknoun. L'ordre du jour de cette rencontre traite de l'éthique et de la déontologie des magistrats, du degré de leur indépendance et des instruments de contrôle de leur intégrité morale et professionnelle. En Algérie, bien que l'Inspection générale de la chancellerie existe depuis belle lurette, elle était reléguée auparavant au statut de figurant dans l'organigramme. C'est M. Sahraoui en personne qui le dit. L'impulsion d'une vaste réforme de la justice ces dernières années est sans doute à l'origine de la renaissance du service de l'inspection. Faisant sa promotion et par la même occasion son plaidoyer, le collaborateur de Tayeb Belaïz se défend de succomber à des règlements de compte politiques dans sa mission disciplinaire. Il lave le CSM de reproches identiques. Réagissant à une remarque de journaliste sur la fermeté des dernières décisions du conseil, M. Sahraoui a indiqué que les précédentes sessions étaient “plus sévères”. Il en veut pour preuve les dix magistrats révoqués en 2004 contre huit cette année. Le sort particulier de l'ex-président du Syndicat national des magistrats, Mohamed Raïs El-Aïn, qui a fait l'objet d'une mesure de radiation, ne relève aucunement d'un règlement de compte, estime l'inspecteur général. À ses yeux, le magistrat “a failli à son devoir de réserve”. “Il n'avait pas le droit d'émettre des avis politiques et de déborder sur les attributions du chef de l'Etat”, a assené le fonctionnaire de la chancellerie. Outre la corruption, le trafic d'influence, l'abus d'autorité, la violation du droit de réserve et la partialité, le juge est susceptible d'être présenté devant la commission de discipline pour “des fautes professionnelles”. “L'Inspection générale est sans pitié devant le moindre manquement”, jure-t-il. Le bâclage des affaires, la lenteur dans leur traitement ainsi que la prononciation de sentences fantaisistes ou qui pèchent par un manque d'équité peuvent conduire leurs auteurs devant le service dirigé par M. Sahraoui. “Il est anormal, par exemple, qu'un juge décide d'une amende faramineuse de 500 000 dinars dans une affaire d'atteinte à l'environnement et se contente de prononcer une sanction symbolique pour un délit plus grave”, explique l'inspecteur principal. Ces défaillances sont prises en charge à partir d'un signalement. “Il faut qu'on nous signale des faits. Nous menons alors notre propre investigation. Nous convoquons l'incriminé après avoir réuni toutes les pièces du dossier. Durant l'inspection, nous tâchons d'être neutres”, fait observer notre interlocuteur. Ses missions de contrôle ne se limitent pas aux magistrats. Elles concernent tous les fonctionnaires de la chancellerie, dont ceux travaillant dans l'administration pénitentiaire. À ce sujet, M. Sahraoui révèle qu'un directeur de prison, un officier et deux agents viennent d'être traduits devant les tribunaux pour avoir “introduit des produits nocifs (de la drogue, ndlr) dans le pénitencier”. En 2004, les 127 prisons du pays ont été contrôlées par les adjoints de M. Sahraoui. Ils ont également inspecté durant la même année et trois fois de suite 32 cours de justice et 36 tribunaux. Un travail de titan qu'ils ont accompli à 15. D'ailleurs, leur chef a déploré l'insuffisance des effectifs. Avis au garde des Sceaux. S. L.