Une quarantaine de magistrats sont actuellement sous le coup d'une enquête au niveau de l'inspection générale, alors qu'une vingtaine d'autres ont fait l'objet de mesures disciplinaires. C'est ce qu'a annoncé hier M. Sahraoui, inspecteur général au ministère de la Justice, en marge de la 9e rencontre des responsables des services d'inspection dans les pays arabes. M. Sahraoui a indiqué que lors de la dernière session du défunt Conseil supérieur de la magistrature (CSM), une vingtaine de dossiers disciplinaires ont été examinés. « Au cours de cette session, huit magistrats ont été révoqués et les autres ont fait l'objet de sanctions secondaires qui vont du blâme jusqu'à la rétrogradation. Tout y est, de la corruption jusqu'à l'abus d'autorité, en passant par le manquement à l'obligation de réserve et la mauvaise fréquentation. Je peux même vous dire que trois magistrats sont actuellement sous le coup d'un mandat de dépôt », a déclaré l'inspecteur général. Sur la question relative à l'arrière-fond de ces décisions que certains magistrats ont qualifiées de politiques, ayant un lien avec la dernière élection présidentielle, M. Sahraoui a été catégorique : « Je peux vous affirmer que les sanctions prises à l'issue des précédentes sessions disciplinaires étaient de loin beaucoup plus sévères que celles émanant de la dernière réunion. Elle ne sont marquées d'aucune considération politique. Des magistrats sanctionnés l'ont été avec rigueur et sans aucun parti pris. » Au sujet de la révocation de Mohamed Ras El Aïn, ancien président du tribunal d'Alger et ex-secrétaire général du Syndicat national des magistrats (SNM), l'inspecteur général a répondu : « Le CSM est souverain dans ses décisions, mais il est important de noter que le magistrat a été révoqué pour avoir gravement manqué à l'obligation de réserve. Il n'a pas le droit d'exprimer publiquement des positions politiques. Dans aucun pays au monde, il n'est permis aux magistrats d'exprimer à travers les médias des avis politiques, parce que de telles déclarations peuvent pousser les justiciables à récuser leurs jugements. M. Ras El Aïn est allé jusqu'à critiquer publiquement les attributions du président de la République. C'est très grave. » Il a expliqué que la mission de l'inspection générale est comme celle du magistrat instructeur. Elle consiste à enquêter sur des allégations concernant le service à travers des plaintes de citoyens ou tout simplement sur des jugements ou décisions de justice entachés d'irrégularité. « L'inspection générale doit veiller à la conduite des magistrats, à leur probité et à leur compétence professionnelle. Nos rapports sont basés sur la neutralité et la contradiction, puisque nous donnons aux magistrats la possibilité de s'expliquer dans la discrétion la plus totale. Leur avis est porté sur le rapport que nous soumettons au CSM. » Interrogé sur les dépassements de certains agents de l'administration pénitentiaire et leur comportement à l'égard des détenus, M. Sahraoui a affirmé que l'inspection a « toujours réagi en temps opportun. Elle vient d'ailleurs de relever un directeur, un officier et deux agents d'un établissement pénitentiaire en attendant les poursuites pénales, pour avoir failli à leur devoir de veiller à la sécurité des détenus en laissant entrer des produits nocifs à l'intérieur de l'établissement. C'est pour vous dire que l'inspection générale ne s'intéresse pas uniquement aux magistrats, mais également au bon fonctionnement des autres structures de l'administration judiciaire. » Interrogé sur le contenu des rapports d'enquête sur les événements qui ont secoué les prisons durant l'été 2002, ayant causé la mort à une cinquantaine de détenus et des blessures à plus d'une centaine d'autres, M. Sahraoui a reconnu qu'« il est du devoir » de l'Etat de dire la vérité sur ce qui s'est passé aux familles des victimes. Pas de coopération avec les pays arabes « Néanmoins, je ne peux vous informer sur ces événements dans la mesure où, à l'époque, ils échappaient à notre service. Les responsables de l'administration ont tout fait pour que l'inspection générale soit formelle. Ils l'ont dépourvue de toute prérogative et n'avait aucune mission jusqu'à ce qu'une nouvelle équipe arrive. Depuis, des visites d'inspection ont repris et nous avons, à la fin 2004, inspecté à trois reprises 192 juridictions, 3 cours et 127 établissements pénitentiaires. Ces missions d'inspection nous ont permis de mettre la pression sur les magistrats afin qu'ils jugulent le retard dans le traitement des affaires. Aujourd'hui, il n'y a plus d'affaires qui remontent plus loin que 2004. La dernière décennie nous a fait enregistrer un retard considérable que nous tentons de résorber à travers d'abord la quantité et après la qualité du traitement des affaires. Ce qui nous amène à un problème crucial qui est le déficit en matière de magistrats. Nous avons un budget qui nous permet, sur une période de 5 ans, de recruter quelque 1500 magistrats. » M. Sahraoui a précisé que ce même déficit est derrière le retard dans l'installation des tribunaux administratifs. « Nous n'avons pas encore de magistrats spécialisés dans les affaires administratives dont le nombre est en hausse. Un groupe de juges va partir incessamment en France pour une formation dans le domaine, dans le cadre de la coopération bilatérale. » Une coopération qui a été, selon le responsable, « très fructueuse » avec les pays occidentaux mais presque « inexistante » avec les pays arabes. La réunion à Alger des inspecteurs généraux des ministères de la Justice des pays arabes, à laquelle a assisté leur homologue français et qui durera jusqu'à ce jeudi, est surtout une occasion pour « exporter l'expérience algérienne » vers cette région du monde, très en retard en matière de fonctionnement du système judiciaire, qualifié par le représentant du Liban d'« archaïque et parfois (de) tribal ». A ce sujet, M. Sahraoui a déclaré : « Nous voulons leur montrer notre expérience et les pousser à s'ouvrir sur le monde, d'autant que dans le cadre de la mondialisation nous avons besoin de nous ouvrir pour profiter des expériences des autres. » A signaler que cette rencontre s'inscrit dans le cadre des réunions périodiques organisées par le Centre des études juridiques et judiciaires à Beyrouth relevant de la Ligue des Etats arabes. Les travaux ont été ouverts hier par le ministre de la Justice, Tayeb Belaïz, qui a prononcé à cette occasion un long discours, à travers lequel il a mis l'accent sur la promotion de l'action judiciaire. « Nous sommes appelés, du fait de l'interdépendance des questions arabes, à entreprendre ensemble une réflexion sur les meilleurs moyens pour nous de nous inscrire comme partie prenante à l'action d'envergure à engager. Il s'agit pour nous de commencer par nous mettre d'accord sur des dénominateurs communs qui garantissent l'interaction et favorisent l'enrichissement mutuel de notre système d'inspection (...) et définir les solutions et les méthodes idoines pour l'unification de la pratique judiciaire au niveau des instances judiciaires pour l'adapter aux exigences induites de l'évolution des sociétés. » Au programme de ces travaux, la définition des principes et règles régissant la déontologie de la pratique judiciaire, de façon à améliorer le fonctionnement de la justice et consolider la confiance en la magistrature et les mécanismes d'inspection judiciaire et leur rôle dans la promotion du niveau des tribunaux. A noter enfin qu'aujourd'hui un protocole d'accord sera signé entre les administrations pénitentiaires algérienne et française dans le cadre de la coopération judiciaire entre les deux pays. Cet accord prévoit l'échange d'informations en matière de gestion des établissements pénitentiaires et la formation des agents de ce secteur.