Il paraît évident que le Premier ministre, en bon maître de céans, bénéficie de l'avantage d'évoluer sur son propre terrain et, le cas échéant, d'en fixer les règles du jeu. C'est au plus fort du bras de fer frontal qu'il a engagé avec Ali Haddad, le président de la superpuissante organisation patronale FCE, et Abdelmadjid Sidi-Saïd, le secrétaire général de l'Union générale des travailleurs algériens, que le Premier ministre, Abdelmadjid Tebboune, a décidé de convoquer pour aujourd'hui une réunion des acteurs de la tripartite, un cadre de dialogue où les deux personnalités citées sont membres à part entière. Beaucoup parmi les observateurs ont été surpris par cette annonce du nouveau locataire du palais de la rue Dr Saâdane dont les interventions devant les deux Chambres du Parlement résonnent encore et devraient sonner le glas des interférences entre le monde politique et celui de l'argent. En conviant ces deux personnalités à une réunion de préparation du sommet tripartite au Palais du gouvernement, le Premier ministre va jouer, si l'on peut passer la formule, à domicile et bénéficiera donc de l'avantage de celui qui reçoit. Une manière, peut-être, pour le chef de l'Exécutif de redélimiter le champ d'action et d'intervention des uns et des autres et de reprendre l'initiative face à des organisations qui, au vu et au su d'une opinion publique sidérée, ont débordé de leurs limites pour empiéter sur les platebandes d'institutions impuissantes devant tant d'insolence des maîtres du moment. Les remontrances adressées, récemment, par le Premier ministre aux concernés, par personnes interposées, devaient certainement refroidir les ardeurs de personnages qui rôdaient auparavant à la lisière du système avant d'ambitionner de devenir carrément des faiseurs de rois. Bien qu'il reste difficile de cerner de manière catégorique les véritables motivations du Premier ministre ou de ceux qui ont programmé la réunion d'aujourd'hui, qui, du reste, devait se tenir un jour ou l'autre pour préparer le sommet de la tripartite à la rentrée sociale, il apparaît évident que le maître de céans bénéficie de l'avantage d'évoluer sur son propre terrain et, le cas échéant, d'en fixer les règles. Une situation que le Premier ministre veut, visiblement, mettre à profit pour battre le fer pendant qu'il est chaud et ramener de l'ordre dans une arène où le mélange des genres est devenu monnaie courante permettant l'avènement du principe des vases communicants entre le pourvoir politique et celui de l'argent. Ce qui, au bout du compte, a fini par agacer au plus haut point les tenants du pouvoir qui tentent, ainsi, de se délester d'un allié devenu trop encombrant. M. Tebboune, qui sait qu'il bénéficie du soutien de larges pans de l'opinion publique, mais aussi d'acteurs politiques et de la société civile, va-t-il mettre à profit cette plus-value pour réussir son opération de reprise de contrôle des affaires par l'Exécutif ? Tout indique, en tout cas, qu'il met en jeu, dans cette bataille, toute sa crédibilité, lui qui semble avoir ouvert la boîte de Pandore, en osant défier la pieuvre politico-financière dont les tentacules se sont étendus jusque dans les moindres recoins des institutions de la République. Et c'est sur ce terrain que le Premier ministre est attendu par une opinion publique qui veut en découdre, une bonne fois pour toutes, avec les tenants de la rapine qui ont pris en otage l'Etat. Il va sans dire que c'est à l'aune des résultats de cette réunion que l'on pourra juger de la volonté du Premier ministre d'aller "jusqu'au bout" de son "projet" comme il l'avait promis dans une de ses dernières sorties. Hamid Saïdani