L'ex-jumenterie, en face de l'une des sorties du Centre hospitalo-universitaire d'Oran, a été transformée, depuis des années, en lieu de stockage des déchets hospitaliers. Alors que les autorités locales d'Oran se sont lancées un défi, depuis quelques semaines, pour éradiquer la saleté et les ordures ménagères qui ont défiguré le paysage urbain, une situation beaucoup plus problématique est vécue actuellement au CHU d'Oran, plus précisément à l'ex-jumenterie. Ce site, face à l'une des sorties de l'hôpital, a été transformé, depuis des années, en lieu de stockage des déchets hospitaliers. Mais, sur place, parler de zone de stockage est un doux euphémisme et le constat que nous avons pu faire discrètement est d'abord effrayant et ensuite scandaleux. Et pour cause, des tonnes de déchets hospitaliers, résultant des activités de soins du CHUO, placés dans des sacs plastiques, sont jetés à ciel ouvert, à même le sol, exposés aux éléments de la nature alors que de part et d'autre de la jumenterie se trouvent des locaux administratifs de l'ADE, et plus loin le centre des personnes âgées dit "caserne Chaâbane". La présence de ces sacs, souvent éventrés, d'où se dégagent des odeurs nauséabondes, fait planer le risque d'une catastrophe infectieuse et environnementale pour la population riveraine, les travailleurs du site et du CHUO. Et pour cause, les déchets d'activités de soins sont composés généralement de seringues, d'objets tranchants en tous genres, de sang, de placentas et autres déchets anatomiques, chimiques et pharmaceutiques. D'ailleurs, la couleur de ces sacs, que nous avons découverts, est un indicateur sur la nature de ces déchets puisque leur collecte est très règlementée : les sacs de couleur jaune sont pour les déchets hospitaliers, les verts pour les organes, les noirs pour les déchets ménagers et, enfin, les roses pour les produits chimiques. À la jumenterie, sacs jaunes, verts, noirs sont jetés pêle-mêle sur le sol, en deux endroits : tout au fond où on retrouve des monticules de sacs jaunes et verts, et sur le devant, sous le toit d'un hangar où, là encore, on remarque des dizaines de sacs noirs et encore verts, dont une partie a été recouverte de terre après des travaux de terrassement. Mais le plus terrible c'est que cette situation, extrêmement dangereuse, perdure depuis des années, et on imagine sans peine les dégâts occasionnés par la contamination inéluctable des sols, de la nappe phréatique, y compris de l'air. D'ailleurs, l'OMS estime que 20% des déchets de santé présentent une source à risque de contamination. Un incinérateur en panne depuis 2015 La non-maîtrise et la mauvaise gestion des déchets hospitaliers (collecte, transport, entreposage, élimination) est récurrente dans notre pays et dans l'ensemble des structures de santé qui n'en font pas une priorité, comme constaté au CHUO. Premier indicateur : la collecte des sacs se fait à l'aide d'une remorque qui circule, sans aucune isolation, à l'intérieur de l'établissement, puis sont acheminés à la jumenterie et jetés sur place. Ce site, très convoité par le passé, a été retenu pour la réalisation d'une structure de santé avec le démarrage des travaux de fondation qui sont actuellement à l'arrêt. Et si ces sacs s'entassent à même le sol, depuis 2015, c'est tout simplement en raison de la panne du principal incinérateur. Une panne qui n'est pas la première du genre, puisqu'elle s'était déjà produite, en 2011, pour l'ancien incinérateur ne répondant plus aux normes et besoins de l'établissement de santé. Ainsi, plus de deux années de laisser-aller et sur lequel nous avons interrogé le DG du CHUO, il nous expliquera que c'est là une situation antérieure à sa nomination, soit en mars 2017. "C'est un grand problème... l'incinérateur est tombé en panne en 2015 et le fournisseur, à l'époque, n'a pas respecté le cahier des charges pour ce que j'en sais. L'ancienne direction a déposé plainte contre lui et après une première décision de justice en faveur du CHUO, l'affaire est toujours pendante, le fournisseur ayant fait appel." Devant notre insistance à demander si depuis aucune solution n'a pu être trouvée, notre interlocuteur poursuit que depuis son installation, il a eu à faire face "à d'autres priorités" et d'évoquer tous azimuts : l'assainissement des dettes cumulées et faramineuses qu'il a trouvées à sa nomination, régler la question du passif du paiement des gardes des médecins, redéployer le personnel des divers services et relancer l'achèvement de nombreux chantiers au sein de l'établissement. Mais pour ce qui est des déchets hospitaliers, aucune solution idoine n'a été trouvée face à l'ampleur du problème, sauf si ce n'est d'avoir fait appel à un prestataire de services, à Hassi Ameur, possédant un agrément interministériel pour incinérer les déchets hospitaliers. "Nous avons trouvé un accord avec lui pour qu'il accepte de prendre quelques quantités des déchets et les incinérer. Mais ce qui reste est l'ancien stock des années passées", ajoutant qu'un nouveau cahier des charges est en cours pour solliciter d'autres prestataires éventuels, en attendant le redémarrage de l'incinérateur. Une réglementation jamais ignorée Néanmoins, le second incinérateur, qui n'est plus aux normes, est de manière aléatoire remis en service, avons-nous appris par nos sources alors que celui-ci devrait être mis au rebut. Au CHUO, la seule réaction pour l'heure de la communauté médicale et de l'administration est la redynamisation du comité de lutte contre les maladies nosocomiales conformément à deux instructions ministérielles. Ces dernières devraient obliger ses membres à se référer aux textes réglementaires et aux normes de l'OMS pour dégager des solutions rapides sur la question des déchets d'activités de soins du CHUO qui s'entassent et "cuisent" au soleil à la jumenterie, en plus des dossiers sur la protection des personnels de santé. Pour autant, l'éventuelle remise en service du principal incinérateur face à l'établissement de santé ne devrait pas être autorisé, puisque la réglementation est claire et interdit l'incinération des déchets en milieu urbain, et au cas par cas, stipule des normes extrêmement précises et strictes pour les caractéristiques des incinérateurs et des types de déchets pouvant être incinérés. De par le monde et depuis longtemps, l'installation d'incinérateurs à l'intérieur des hôpitaux a été abandonnée car présentant des risques au cas où des pannes pourraient survenir. L'Algérie qui ne maîtrise donc pas cette question des déchets de soins de santé, n'en a pas moins mis en place de nombreux textes réglementaires ainsi qu'un guide de bonne conduite destiné aux gestionnaires des établissements de santé, qu'ils soient publics ou privés. Parmi les principaux textes existants, on citera les instructions de 1995 portant sur le dispositif technique pour la gestion des déchets hospitaliers, une autre instruction datant de 2008, toujours pour la collecte et le transport desdits déchets. Plus récemment et, en guise de rappel, l'instruction n°6 du 7 février 2016, relative "à l'application des directives nationales concernant l'hygiène de l'environnement dans les établissements de santé publics et privés". Celle-ci a été diffusée à l'ensemble des établissements et des DSP, dont celle d'Oran informée avec documents à l'appui du danger infectieux à la jumenterie. Dans cette instruction, le ministère de la Santé rappelle à tous les responsables qu'ils doivent se référer au manuel mis en place pour le renforcement de la prévention de la lutte contre les infections associées aux soins. Il y est précisé "l'application stricte et organisée des prescriptions réglementaires relatives au tri, à la collecte, au transport et au traitement des déchets conformément à la fiche 33". D'autres précisions sont données sur la conduite à tenir et les moyens humains et matériels à mettre en œuvre. Par ailleurs, et vu la situation récurrente qui perdure à la jumenterie, les riverains et surtout les employés chargés de la collecte, du transport et du tri des déchets hospitaliers peuvent s'inquiéter sérieusement de leurs conditions de travail et des conséquences sur leur santé malgré des consultations au niveau de la médecine du travail. Mais qu'en est-il des malades et de la population ainsi que des dégâts environnementaux ? Enquête réalisée par : Djamila Loukil