L'Europe s'invite dans la campagne référendaire française. En effet, les dirigeants européens s'inquiètent sérieusement des conséquences d'un rejet par les Français, du texte de la Constitution européenne qui, pour entrer en vigueur, doit être adoptée et paraphée par l'ensemble des 25 membres de l'Union européenne. Un «non» français, outre de paralyser les nouvelles institutions européennes risque aussi de faire boule de neige auprès des Européens appelés à se prononcer dans les jours, semaines et mois à venir sur la Constitution européenne. Aussi, la tendance actuelle de l'opinion française, - le «non» l'emporterait avec 53% des suffrages lors du référendum du 29 mai prochain selon tous les sondages parus ces derniers jours en France - ne manque pas de susciter l'inquiétude auprès des responsables politiques européens et des administrateurs de la Commission européenne, qui ont décidé, une première dans les annales politiques européennes, de s'impliquer dans le débat politique franco-français en appelant les Français à voter «oui». Résumant l'opinion générale européenne, et expliquant, sans doute, cette immixtion étrangère dans une campagne nationale, le chef de la diplomatie allemande, Joschka Fischer, a déclaré dans le quotidien français Libération d'hier que «Les Français ont à prendre une décision européenne (...) Et si la France vote non, d'autres pays voteront non», allusion au vote des Néerlandais, qui s'exprimeront trois jours après les Français, et aux Polonais, Danois, Tchèques, Britanniques, Irlandais et Portugais, appelés aux urnes dans les mois à venir. C'est dire les dégâts qu'occasionnerait à la construction de l'Union européenne un « non » français au texte de la Constitution. D'autant plus que la France et les Pays-Bas, - où le «non» prend également le pas sur le «oui» -, nations fondatrices de la Commission économique européenne (CEE, ancêtre de l'UE) comptent parmi les Etats clés de l'Union européenne. L'implication, notamment du chancelier allemand, Gerhard Schröder et du président polonais, Aleksander Kwasniewski, dans une campagne nationale est considérée en Europe comme du «jamais vu» en ce sens que c'est la première fois que des dirigeants extra-nationaux interviennent dans la «cuisine» électorale d'un pays tiers. Et dire que les partisans français du «non» accusaient l'autre jour le président Jacques Chirac, qui s'est totalement investi dans la campagne pour le «oui» de faire une «campagne d'Etat», contraire, selon eux, à l'éthique politique en vigueur en France. Il est patent que le vote français n'est plus une affaire purement française, pour devenir un acte majeur de cette Europe des 25 où l'abolition des frontières a créé un nouvel état d'esprit avec un passage en douceur du «nationalisme» à «l'européanisme». C'est dire donc que l'enjeu du référendum, ses incidences sur le futur de l'UE ont déterminé, outre les dirigeants politiques, des syndicalistes, des intellectuels et des artistes européens à s'inviter dans la campagne française pour convaincre les Français, à voter utile, en votant «européen». De fait, un rejet français de la Constitution européenne, outre de marginaliser la France dans cette Grande Europe en devenir, aura pour conséquence, en plus d'inciter les Européens appelés à voter prochainement à suivre l'exemple français, de paralyser la mise en place des institutions européennes prévues par les négociations de Nice de 2000, que d'aucuns avaient alors qualifiées de désastreuses. Il a fallu en effet trois années de difficiles pourparlers pour arriver à cette Constitution européenne considérée comme un «compromis». Compromis loin d'emporter l'adhésion mais avec le mérite d'être le plus proche des revendications de chacun des 25 membres de l'UE. Deux voies étaient ouvertes pour son adoption, la voie du Parlement et celle du référendum. En choisissant la voie référendaire, Jacques Chirac semble ainsi avoir fait le mauvais choix alors qu'il était assuré d'avoir la majorité absolue du Parlement français (Assemblée nationale et Sénat) dominé par la majorité présidentielle. Aussi, beaucoup de dirigeants et d'analystes politiques européens craignent qu'un «non» français au référendum du 29 mai ne remette en cause le sens même que le traité constitutionnel veut donner à une Union européenne appelée, dans les prochaines années, à s'élargir à l'Europe de l'Est avec les adhésions de la Bulgarie et de la Roumanie (prévues pour 2008) et éventuellement à d'autres pays européens tout en restant ouverte à une adhésion de la Turquie (adhésion plus problématique, droite et gauche européennes contestant l'entrée à l'UE d'un pays musulman). Mais pour l'heure, c'est le test référendaire français qui inquiète et mobilise la classe politique, les intellectuels et syndicalistes européens, montrant ainsi que la suppression des frontières à l'intérieur de l'UE a donné naissance à des «nationaux» européens qui s'estiment totalement impliqués par le résultat du vote français. Et c'est bien la perte de la «nationalité française» qui nourrit les appréhensions des adversaires du «oui» qui appellent à la préservation de l'originalité «hexagonale».