Bruxelles, capitale de l'Union européenne, ressemblait hier à un QG d'un parti politique français. Responsables, politiques et journalistes présents, ce dimanche après-midi jusque tard dans la soirée, dans la salle de presse, spéculaient sur l'issue du référendum français sur le projet du traité constitutionnel de l'UE. Les débats entre sceptiques et enthousiastes ont créé un climat « français » sur le nouvel immeuble en étoile, siège de la commission européenne, le gouvernement de l'Europe, comme se plaisent à le nommer les journalistes. Le « non » qui est apparu à 22h sur les écrans géants a été suivi d'un silence pesant. C'est que le rejet de ce projet constitutionnel par le peuple français signifie beaucoup de choses importantes. D'abord, et il faut le dire, ce projet constitutionnel est mort, même si pour des raisons de bienséance diplomatique, la procédure de ratification continue pour les 15 autres Etats de l'Union jusqu'à l'été 2006. De plus, les Hollandais, qui voteront demain, ont déjà annoncé leur intention lors de sondages avec plus de scepticisme que les Français : plus de 60% de non. De leur côté, les Danois et les Polonais ne semblent pas très engagés quant au projet de constitution. Un autre indice révélateur du décalage des dirigeants européens de leurs administrés a été ce sondage des Belges qui ont rejeté le projet, alors qu'il a été adopté à l'unanimité par leurs députés et sénateurs. Dimanche soir, le président du parlement européen, Josep Borrell, le président du conseil, Jean-Claude Juncker et le président de la commission européenne, Manuel Barroso, ont dans une déclaration commune déclaré : « Nous regrettons ce choix venant de la part d'un Etat membre qui est depuis 50 ans l'un des moteurs essentiels de la construction de notre avenir commun. » Ensuite, tout porte à croire que les citoyens européens ont décidé de s'impliquer sérieusement dans la construction de leur avenir. Les interventions répétées du mouvement associatif et du monde du travail lors des réunions des dirigeants européens à Bruxelles et ailleurs traduisent leur volonté de contrer une Europe du capitalisme sauvage et de la spéculation financière. Le « non » français n'est pas un refus de l'Europe. C'est le rejet d'un projet européen sans protection sociale, sans services publics garantis. Un projet qui nivelle par le bas la redistribution des richesses nationales. Enfin, les rédacteurs de ce projet constitutionnel ont sous-estimé le poids de la société civile qui n'a point été consultée lors de sa rédaction. Même les partenaires sociaux n'ont, en réalité, eu qu'un avis consultatif. Sinon comment expliquer la partie 3 du traité qui conforte un choix libéral, pratiquement sans contrôle des Etats, dans certains cas vaguement indiqués ? A ce titre, il est pour le moins étonnant que le texte soumis au référendum en Espagne ait été tronqué justement de sa partie 3. Depuis hier, le débat sur l'avenir de l'Union européenne est relancé. Cinquante ans après, mais cette fois dans la société.