Ce jeudi matin s'est clôturée la session du Conseil exécutif (CE) de l'Unesco avec comme recommandation principale la présentation de la française Audrey Azoulay en tant que directrice générale. La Conférence générale de l'organisation onusienne, réunissant les représentants des 195 Etats membres, se tiendra, à Paris (siège), du 30 octobre au 14 novembre pour valider (sauf coup de théâtre) par vote la proposition du CE. Mais que s'est-il passé finalement lors de cette session du Conseil exécutif durant laquelle s'est déroulé une rocambolesque élection pour le poste de DG de l'Unesco? La récente victoire de l'ex-ministre de la culture française aux élections pour le poste de DG de l'Unesco est venue remettre en selle la théorie de Samuel Huntington sur le Choc des civilisations. Cette année encore les pays arabes se sont distingués par la défaite de tous leurs candidats et par les coups bas qu'ils se sont assignés. Leurs situations au sein de l'organisation onusienne rappellent les fameux vers de de Baudelaire "Je suis la plaie et le couteau, la victime et le bourreau". Néanmoins, la réalité dépasse ce triste état des lieux. Le choix de Audrey Azoulay est venu confirmer, ce que certains croyaient juste comme une "idée reçue", que tout est fait pour qu'aucun représentant d'un pays arabe ne puisse prendre le poste de directeur général de l'Unesco. Les péripéties des votes, surtout de 2009 et de 2017, en sont les meilleures illustrations. A chaque élection il y a toujours eu un front anti-candidat arabe, surtout si ce dernier est présenté comme le favori. Farouk Hosni (Egypte) et Hamad Al-Kawari (Qatar) ont été les victimes les plus "flagrantes". Le fait d'avoir choisie une française pour DG de l'Unesco vient remettre en cause un accord tacite voulant que le pays hôte ne présente pas de candidat. Cette fois il y a eu un placement et surtout une campagne ardue pour faire gagner Audrey Azoulay. Un chamboulement qui va sûrement avoir un effet boule de neige dans tous les processus diplomatiques prochains. D'aucuns s'accordent que la France a ouvert la boite de Pandore et que dorénavant tous les "coups" seront permis dans les institutions internationales. Les regards seront braqués surtout sur le BRICS. Deux élections "anti" Comme en 2009 la victoire d'un candidat arabe à ces élections étaient pour beaucoup d'observateurs déjà acquise. Il ne restait qu'à connaitre le nom, puisqu'il y avait (quelques jours avant le début du 1er tour) quatre représentants à ces joutes. 2017 devait être la consécration et placer enfin, pour la première fois de l'histoire de l'Unesco, un arabe à la tête. Les tableaux en dessous, réalisés par la Rédaction Digitale de "Liberté" (#RDL), donnent les détails des votes lors des éditions de cette année et celle d'il y a huit ans. A chaque fois les pays d'Europe (et ses "amis") se retrouvent unis, dès second ou troisième tour, derrière une candidate, avec pour objectif barrer la route aux candidat arabe. Tableau réalisé par la #RDL La bulgare Irina Bokova, quasiment inconnue avant les élections, est ainsi sortie du lot, en récoltant, surtout, les voix glanés par l'autrichienne Benita Ferrero-Waldner. Au bout, Farouk Hosni en sort vaincu alors qu'il n'était qu'à une voix de gagner les élections. Irina Bokova restera en poste durant deux mandats. En 2017, le Qatari Al-Kawari avait également en face de lui principalement des femmes adversaires. La française Audrey Azoulay et l'égyptienne Moushira Khattab ont été les plus déterminées. Ces deux femmes ont eu à se départager par un tour préliminaire pour se "qualifier" au 5e tour. Tableau réalisé par la #RDL Et au final, à la surprise générale (comme en 2009), il faut ajouter un "e" à la fin du mot "gagnant". Le verdict des urnes ne fait qu'attester que la direction de l'Unesco reste une chasse gardée des pays européens et de leurs "amis". Les pays arabes, malgré toutes les promesses reçues à chaque élection, en sortent bredouilles. Ils avaient pourtant élever la voix il y a quelques mois de cela. C'était en juin dernier dans une pétition signée par une cinquantaine de grands noms de la culture arabe adressée au président français Emmanuel Macron dans laquelle ils lui demandaient de retirer la candidature d'Azoulay en lui rappelant que la direction de l'Unesco devait revenir, en 2017, à un pays arabe et ainsi transformer cette élection serait un symbole fort. Le diagramme circulaire en dessous (réalisé par la #RDL) donne un aperçu sur les nationalités des signataires. 14 pays sont représentés par les signataires: -L'Egypte: 19 -Le Soudan: 8 -La Jordanie: 4 -La Mauritanie et la Tunisie: 3 signataires pour chaque pays -La Syrie, le Liban, la Palestine avec 2 signataires pour chaque pays -L'Algérie, l'Irak, le Yémen, le Maroc, la Libye et le Koweït avec 1 seul signataire pour chaque pays. Le diagramme montre surtout que l'Egypte misait beaucoup, déjà en juin, sur les chances de Moushira Al Khattab. L'élimination de cette dernière devant Audrey Azoulay devait "logiquement" inciter les responsables du pays des pharaons à faire payer la France pour sa "trahison". Que nenni. La veille du 5e et dernier tour de ces élections, voilà que le ministère des affaires étrangères égyptien appelait à voter contre...le qatari. Les litiges arabo-arabes revenaient au devant de la scène. La position de ce ministre rappelai à ceux qui ne voulaient pas s'en souvenir, que depuis juin dernier, l'Arabie saoudite, les Emirats arabes unis, Bahreïn et l'Egypte ont rompu leurs relations diplomatiques avec le Qatar. Une crise aux retombées multiples et pas uniquement sur le plan des prix du pétrole et du gaz. l'Unesco n'a finalement pas pu en échapper. D'ailleurs, selon des sources diplomatiques à l'intérieur de l'Unesco, les trois pays de cette coalition arabe, l'Arabie Saoudite, les Emirats Arabes Uniset le Bahrein ont lancé envers plusieurs pays membres du Conseil exécutif de l'organisation (donc les votant) des menaces directes et claires "si le Qatar passe on gèle nos contributions" . Une situation qui est venue conforter la candidate française et ses soutiens pour gagner l'élection. Et l'Egypte n'était pas le seul pays à avoir "affiché" son anti-qatarisme. Liban: injonctions saoudiennes Le pays des cèdres s'est également impliqué dans ces querelles. Sa candidate Vera El Khoury Lacoeuilhe s'est arrêtée avant le 4e tour en annonçant que " le Liban se retire pour un candidat arabe". Logiquement au 5e tour la voix de ce pays (membre du Conseil exécutif) devait revenir au qatari (selon les déclarations même de la candidate). Mais coup de théâtre. L'ambassadeur du Liban auprès de l'unesco, Khalil Karam, qui avait voté lors des quatre tours, et même lors du tour préliminaire (entre l'égyptienne et la française), est à la surprise générale "mis de côté". Un officiel libanais a été dépêché de Beyrouth à Paris spécialement pour participer au vote. Sa mission était d'empêcher le qatari d'avoir la voix du Liban. "L'Orient-Le Jour", quotidien francophone libanais, à propos du vote au 5e tour (capture écran) Selon des sources diplomatiques il s'avère que l'Arabie Saoudite a fait pression sur le Premier ministre Saad Al Hariri pour écarter Khalil Karam et mettre une autre personne plus "docile" qui va devoir représenter le Liban lors du 5e tour. Mission accomplie. Le Maroc récolte déjà les dividendes Le soutien du Maroc à la fille du Conseiller du roi est un secret de polichinelle. S'il y avait un iota de doute sur cette "orientation", il est totalement dissipé aujourd'hui. Quelques jours après l'élection de Azoulay, le royaume chérifien commence déjà à récolter les dividendes. La directrice générale de l'organisation a désigné mardi 17 octobre la marocaine Latifa Toufik à la présidence du conseil d'appel de l'Unesco. La "récolte" ne s'arrêtera surement pas à ce niveau. Voilà donc trois pays qui se sont alliés contre Hamad Al-Kawari. Leur positionnement était d'autant important qu'ils étaient membres du Conseil exécutif de l'Unesco donc chacun d'eux avait une voix à donner. Pour rappel Pour rappel les pays membres de l'Unesco sont divisés en six groupes. Chacun de ces derniers a, au moins une fois, obtenu le poste de directeur général de l'organisation, sauf celui des pays arabes. Pour 2017 les membres de ce groupe (G 5(b) ) étaient les pays suivants: 1.Algérie 2. Egypte 3. Liban 4. Maroc 5. Oman 6. Qatar 7. Soudan La position algérienne n'a pas été affichée officiellement mais nos sources indiquent qu'au 5e tour la voix DZ était pour le qatari. Mais trois (au moins) sur les sept avaient opté pour la Française. Au lieu des 28 voix, il aurait eu 31, soit une de plus que le minimum requis pour gagner l'élection. Al Karawi: "peut-être que c'est mieux comme ça" Tout ce tohu-bohu de la diplomatie du pseudo bloc arabe et de l'hypocrisie des pays occidentaux, avait ainsi une seule cible dès le début du vote: Hamad Al Kawari. Sa réaction après l'annonce des résultats en dit long sur la grande pression dans laquelle il avait vécu les cinq tours du vote. Sa vie aurait été même en danger. C'est ce qu'a affirme son entourage a qui il aurait même affirmé "peut-être que c'est mieux comme ça, Allah a vu que c'était la meilleure solution pour moi" en indiquant qu'il était tout le temps surveillé et même filmé. Par qui? Certains n'hésitent pas à accuser les membres de la coalition anti-qatar, en premier lieu l'Egypte et l'Arabie Saoudite. Ces derniers auront ainsi tout fait pour lui barrer la route. Mais au final, que ce qu'ils vont faire? Vont-ils ramener l'argent qu'avait promis Al-Kawari lors de sa campagne? Un "oui" à cette question serait plus qu'hasardeux surtout que l'entourage de l'ex-ministre qatari affirme qu'il comptait mettre sur la table, dès le 1er janvier prochain, pas moins de 120 millions de dollars, soit bien plus que le déficit de l'Unesco (estimé à un peu plus de 100 millions de dollars). L'Unesco va-t-elle regretter la "mise à l'écart" du Qatari? L'avenir nous le dira. Entre-temps Hamad Al-Kawari est revenu en héros chez lui. L'accueil triomphal que lui ont réservées les autorités de son pays était significatif de l'estime qu'il a gagné durant sa campagne. D'ailleurs certains membres des délégations diplomatiques ne cessent pas de répéter que "c'est plutôt une victoire pour lui puisqu'il a fait une campagne réussie et si ce n'était les coups de poignard de certains pays il aurait été élu haut la main". La presse qatari accueille triomphalement Hamad Al Kawari (capture écran du quotidien qatari : Al Raya) Très estimé malgré cette défaite, Al-Kawari avait même gagné l'estime des employés de l'Unesco. Les fonctionnaires arabes de l'organisation onusienne, y compris les égyptiens, ne cachaient pas leur déception dès l'annonce des résultats du 5e tour. Cette image, et ce positionnement, indiquent surtout que cette élection est loin d'être synonyme d'une fin de parcours pour le qatari. Le voir rebondir "ailleurs" ne serait pas une surprise. D'ailleurs certains lui prédisent d'ores et déjà un avenir radieux, au moins dans son pays... Salim KOUDIL @SalimKoudil