Par une curieuse coïncidence et un hasard de l'actualité, la toile de fond du dernier roman La fatwa de Mustapha Bouchareb, récipiendaire du prix Mohamed-Dib en 2016 et édité par les éditions Chihab se déroule en Arabie Saoudite, un pays en proie actuellement à de grands bouleversements sociopolitiques sous les coups de boutoir des nouvelles générations. Il est même à parier que l'auteur, un angliciste et enseignant universitaire ayant longtemps vécu à Riyadh était loin de soupçonner au moment où il rédigeait son roman un tel retournement de situation, un tel contexte. D'ailleurs qui aurait cru que le système mis en place en Arabie Saoudite depuis des lustres en vienne à se réformer de l'intérieur, et ce, d'une manière assez brutale. L'opinion mondiale, médusée, découvre soudainement que le Palais royal saoudien pouvait abriter en son sein des princes courageux, de bonne volonté, des êtres moraux, normaux et désireux de dévoiler les abus et les crimes dont, eux-mêmes, étaient, parfois témoins. Cette rupture avec l'image d'un pays aux mœurs archaïques et longtemps considéré comme le principal exportateur de l'extrémisme islamiste dans le monde tombe presque comme "un cheveu dans la soupe" de ce roman qui ne manquera pas, par ailleurs, de faire date, s'agissant d'une chronique du temps qui passe. De plus, les réformes promises par le jeune prince tendant à marginaliser la caste des religieux conservateurs, mise à mal par ses récentes initiatives risquent de buter sur des résistances au changement qu'il serait encore trop tôt de sous-estimer. Aussi, le roman de Bouchareb a le mérite certain de poser la dualité entre cette ouverture souhaitée au monde et l'enfermement symptomatique dans lequel se débat le monde arabo-musulman depuis au moins la chute de Grenade. Pour dénoncer cette étouffante chape de plomb et illustrer cette lutte séculaire, l'auteur a choisi, pour héroïne, une jeune journaliste saoudienne, en rupture de ban, pour lancer un défi aux conservateurs de tout poil. Prise en flagrant délit en train de conduire une voiture à Ryadh transgressant ainsi une loi non écrite que l'actuel prince héritier vient, du reste, d'abroger, la jeune femme, une révolutionnaire s'il en est, aura à séjourner, à son corps défendant, en prison. Pour donner de l'ampleur à l'intrigue, l'auteur a fait en sorte que la jeune femme ne se doutait pas un instant que son propre père, un puissant cheikh, un tenant du courant rigoriste, rompu aux "subtilités" du système wahhabite serait à l'origine même de son interpellation par les forces de l'ordre. En somme, un règlement de compte entre père et fille. Ou vice-versa. Enfin, l'histoire se complique davantage lorsqu'un jeune mozabite, bien de chez nous, un informaticien qui a dû quitter l'Algérie pendant la décennie noire est désigné alors par le chef du personnel de l'entreprise qui l'emploie pour donner des cours à la jeune journaliste qui se trouve, par ailleurs, être la fille du patron de la société. Dès lors se noue une histoire d'amour entre ces deux êtres que tout sépare. Un amour impossible soit un lieu commun dans la culture arabo-musulmane et même au-delà. Mohamed-Chérif Lachichi La fatwa de Mohamed Bouchareb Editions Chihab, 338 pages, 2017. Prix : 1 300 DA