L'appel des étudiants de Béjaïa a drainé une foule nombreuse, attestant, si besoin est, que la mobilisation pour la langue, culture et identité amazighes n'a pas subi l'érosion du temps. Les artères de la ville de Béjaïa ont renoué, hier, avec les marches populaires des grands jours en faveur de tamazight. En effet, ils étaient des milliers de citoyens de tout âge et de différentes couches sociales, plus de 25 000 personnes, selon plusieurs estimations, à battre le pavé en faveur de tamazight. Et du coup, "dénoncer le rejet de la commission des finances à l'APN du projet de loi portant sur la promotion et la généralisation de la langue amazighe sur tout le territoire national". L'imposante marche populaire a été initiée par la coordination locale des étudiants de l'université et des différents comités des résidences universitaires de Béjaïa. Lesquels ont lancé, la veille, un appel à cette action, qu'ils veulent comme une démonstration de force, afin d'exiger le retrait de cette disposition — si disposition il y a, bien sûr ; le SG du HCA parle de canular — de la commission des finances qui a enregistré une adhésion massive de la population de la région. Mais aussi des syndicats et des membres de la société civile et de simples citoyens. Effectivement, des travailleurs des administrations et des entreprises, ainsi que des élèves des établissements scolaires, des différents paliers ont spontanément répondu à l'appel et participé à la marche qualifiée de la "dignité". Aussi, dès les premières heures de la matinée, a-t-on constaté, des citoyens, venus des quatre coins de la région par bus ou par voiture, se sont rendus au lieu du rendez-vous, le Campus de Targa-Ouzemour où ils se sont postés devant le siège du chef-lieu de wilaya pour prendre part à cette "marche historique pour tamazight". La procession a démarré, à partir de 10h, du campus Targa-Ouzemour vers la Place de la liberté d'expression Saïd-Mekbel. Organisé en carrés, les marcheurs ont arboré des drapeaux de Tamzaghra et du Mouvement pour l'autodétermination de la Kabylie (MAK) de Ferhat M'henni, ainsi que des banderoles sur lesquelles ont été transcrits des mots d'ordre de la manifestation. "Les racistes du pouvoir ne veulent pas nous voir" ; "Ma ulac tamazight ulac ulac" ; "De l'oppression de tamazight à l'oppression sociale et économique de la région" sont, entre autres, les slogans inscrits sur les banderoles brandies. Et que les manifestants ont scandé tout au long de leur itinéraire mais aussi des slogans hostiles au pouvoir comme : "Pouvoir assassin" ; "Assa azekka tamazight tella tella" ; "corrigez vos livres d'histoire, l'Algérie n'est pas arabe" ; "Dda Lmulud mazalagh d'Imazighen", etc. Hommage aux victimes du Printemps noir À leur arrivée au niveau du rond-point de la cité CNS, les manifestants ont marqué une halte pour observer une minute de silence à la mémoire des martyrs du Printemps noir, de tamazight et de la démocratie. Il faut dire que les portraits des victimes d'avril 2001 sont toujours accrochés. La marche a repris pour rejoindre le point d'arrivée, la Place de la liberté d'expression Saïd-Mekbel, avec les mêmes slogans, entonnés en chœur par la procession humaine. Devant le siège de la wilaya, le cordon de sécurité de la marche, formé essentiellement d'étudiants, a tenu à "recadrer" les marcheurs pour éviter tout dérapage ; beaucoup appréhendaient un "dérapage incontrôlé". Pari réussi par le service d'ordre et relevé par les observateurs de la scène politique locale. La marche s'est poursuivie, en effet, sans aucun incident vers la place Saïd-Mekbel. Les deux voies de la rue de la Liberté étaient noires de monde. Et pendant plus d'une heure qu'a duré le rassemblement, les manifestants ont continué à scander à gorges déployées des slogans hostiles au pouvoir et allumé des feux d'artifice sous les youyous stridents des étudiantes. "Aujourd'hui, c'est une journée de fête pour tamazight et une giffle pour ses détracteurs et le pouvoir", nous a déclaré un groupe de marcheurs à la fin de la manifestation. Lequel groupe était manifestement très satisfait de la mobilisation citoyenne et de l'organisation impeccable de cette dernière. Ils se sont ensuite dispersés dans le calme. Pour revenir à la marche, tout le monde a été unanime pour souligner la grande mobilisation de la population. "Tamazight mobilise et mobilisera toujours. Que ceux qui croient que la population de la région, notamment sa jeunesse, se désintéresse de la chose politique, qu'ils se détrompent. La relève est assurée et cette grande mobilisation en est une preuve de plus", nous ont déclaré des acteurs politiques et sociaux que nous avons abordés tout au long de la marche. Il y a lieu de signaler que des renforts de policiers et de gendarmes, apprend-on de sources crédibles, ont été envoyés des wilayas limitrophes vers Béjaïa, la veille de la marche. À rappeler que des manifestations de lycéens et d'étudiants en faveur de tamazight se succèdent à travers toute la Kabylie. L. Oubira