L'objectif de privatiser plus de 200 entreprises en 2005 risque de ne pas être atteint au regard du rythme auquel les sociétés de gestion de participation mènent les opérations. Plus de 114 entreprises ont été privatisées, des petites et moyennes entreprises. C'est le Chef du gouvernement lui-même qui annonce le chiffre lors d'une conférence de presse tenue le 11 mars dernier à la résidence El-Mithaq. Le montant de cession, avait-il dit, avoisine les 20 milliards de dinars. Plus de 5 milliards de dettes ont été reprises par les repreneurs. Le ministre délégué à la Participation et de la Promotion des investissements, M. Yahia Hamlaoui a avancé plus de 700 manifestations d'intérêt exprimées par les opérateurs économiques pour la reprise d'un certain nombre d'entreprises. Récemment, le Conseil des participations de l'Etat aurait examiné plus de six dossiers, dont le plus important celui d'Asmidal. M. Yahia Hamlaoui parle d'émergence du marché des privatisations. L'orientation politique, dit-il, étant clairement affichée, “le MDPPI s'inscrit désormais dans une trajectoire de mise en œuvre du processus de privatisation érigée en modalité de développement de l'investissement”. En d'autres termes, selon lui, le débat sur l'opportunité est épuisé. Si nos interlocuteurs partagent l'avis du ministre sur “l'épuisement” du débat concernant l'opportunité de la privatisation, ils souhaitent ouvrir celui du mode opératoire des privatisations. Le bilan peut paraître “très encourageant” pour paraphraser un opérateur économique, mais il suscite beaucoup d'interrogations. Problème de transparence Aucune information n'a été divulguée en ce qui concerne les entreprises privatisées ni l'identité des repreneurs, sauf peut-être la Société de gestion des participations Cojub qui a annoncé sur son site internet la privatisation à 100% des filiales eaux minérales Epem Mouzaïa (capacité de production 180 000 hl/an, 36% du chiffre d'affaires de la filière pour l'année 2003) et Epem Ben Haroun (capacité de production 60 000 hl/an, 13% du chiffre d'affaires de la filière pour l'année 2003) au profit du groupe Sim. Le contrat de cession a été signé le 24 janvier dernier. La SGP Cojub, souligne par ailleurs le rachat des eaux minérales ES-Batna (capacité de production 110 000 hl/an, 14% du chiffre d'affaires de la filière pour l'année 2003) par le groupe industriel Salah Atia. La même source affirme avoir signé le 17 janvier dernier un contrat de cession du projet Eau minérale d'El-Goléa avec la SGBEM. Concernant le projet Eau minérale de Béni Fodda, il est question d'un protocole d'accord paraphé avec le groupe Yaïci. Il y a eu aussi la cession de la Biscuiterie de Cherchell au profit du groupe privé Flash Algérie. Pour le cas d'Asmidal, l'information a été rapportée par des journaux espagnols. L'espagnol Fertiberia (engrais) investira 721 millions d'euros dans l'industrie des engrais en Algérie où il est parvenu à un accord pour prendre une participation de 66% dans deux entreprises du secteur, Alzofert et Fertial, selon son président Juan Miguel Villar Mir, cité par la presse madrilène. Ces investissements incluent la construction d'un centre de production d'ammoniac, l'un des plus importants au monde, et l'amélioration des installations d'Alzofert et Fertial. La construction de l'usine de production d'ammoniac, qui sera implantée dans la ville d'Arzew, nécessitera un investissement de 315 millions d'euros. Elle produira plus de 1,1 million de tonnes d'ammoniac par an. En dehors de ces opérations, ni le Chef du gouvernement ni le ministre Yahia Hamlaoui et encore moins les autres sociétés de gestion des participations de l'Etat n'ont publié la liste des entreprises privatisées malgré l'insistance des journalistes. “La logique voudrait que cette liste soit publiée avec les détails et le montant de la transaction”, soutient un économiste. Le Chef du gouvernement lors de sa dernière rencontre avec la presse pense que c'est aux acquéreurs “de le faire s'ils le désirent, et non pas au gouvernement”. Ce n'est pas le seul reproche que les opérateurs adressent au processus de privatisation actuellement en œuvre en Algérie. Le président du Forum des chefs d'entreprise M. Omar Ramdane avait soulevé la question de la transparence des opérations de privatisation lorsque le Club Excellence Management avait reçu le ministre délégué de la Participation et de la promotion des investissements. Cette question semble être partagée par plusieurs opérateurs qui ne comprennent pas la façon dont sont traitées leurs manifestations d'intérêt et sur quelle base le CPE retient telle ou telle manifestation d'intérêt. Là aussi, ils estiment que logiquement l'opération devrait se faire en public, notamment en présence de tous ceux qui ont exprimé leur volonté d'acheter l'entreprise. Le président du Forum des chefs d'entreprise, par exemple, propose la méthode d'appel d'offres, avec ouverture publique des plis pour retenir “l'offre la plus intéressante, pas forcément le plus offrant”. La privatisation par lot d'entreprises est plus indiquée, aux yeux du président du Forum des chefs d'entreprise. Le Chef du gouvernement, tout comme son ministre délégué à la Participation pensent le contraire. Ils soutiennent que le processus décisionnel au niveau du Conseil des participations de l'Etat “se fait dans la transparence”. Pour Yahia Hamlaoui, l'appel d'offres “est une procédure qui prend beaucoup de temps”. Il rassure que pour le gouvernement “la privatisation n'est pas une opération banale et que le CPE n'est pas en train de céder des actifs”. La publication sur un site internet de la liste des entreprises à privatiser est, selon M. Hamlaoui, “un signe de transparence”. Les syndicats s'opposent à la cession de bon nombre d'entreprises Plusieurs syndicats d'entreprises montent au créneau pour demander la reprise de ce qu'ils appellent “leurs entreprises”. L'exemple de la briqueterie d'El-Achour est le plus édifiant. Cédée, nous dit-on, à un privé, celui-ci a toutes les peines du monde à récupérer ce qui est devenu son bien. C'est le cas aussi des complexes laitiers que les travailleurs veulent reprendre, pensant que la loi leur donne la priorité. Mais en fait, dans le traitement des manifestations d'intérêt, les SGP, nous dit-on, sont non seulement regardantes sur le maintien de l'emploi et de l'activité, mais aussi sur l'apport en termes d'investissement par le repreneur. Sur ce point, les travailleurs semblent être disqualifiés dès le départ. Cependant la loi leur accorde 10% de la part de l'entreprise s'ils veulent exercer cette option. En dépit de progrès indéniables dans la concrétisation des opérations de transfert de propriété depuis le lancement de cession de 1 200 entreprises, l'accélération du processus bute sur le retard dans l'évaluation des firmes publiques privatisables. “Nous sommes encore loin de l'objectif tracé en termes de privatisation des entreprises publiques économiques, soit une entreprise privatisée dans chaque Société de gestion des participations (SGP) par mois”, avait indiqué récemment M. Yahia Hamlaoui. Le ministre n'est pas satisfait du rythme actuel des privatisations. M. Yahia Hamlaoui évoque la contrainte liée à l'évaluation du patrimoine qui aurait retardé la concrétisation de certaines opérations de privatisation et qui empêche d'aller vite dans le processus. Pour lui, les bilans comptables des EPE ne reflètent pas la valeur marchande de ces entreprises. Aujourd'hui, selon certaines sources, le nombre d'entreprises évaluées ne dépasse pas 220 firmes. Difficile de tenir le pari annoncé par le Chef du gouvernement de privatiser 200 entreprises d'ici la fin de cette année. M. R.