Dans cet entretien, Ferhat Aït Ali décortique la décision du Premier ministère qui venait de réduire à 10 le nombre des investisseurs pour le montage automobile. Liberté : Le gouvernement a décidé de réduire l'investissement dans le montage automobile à 10 opérateurs. Qu'en pensez-vous ? Ferhat Aït Ali : Je pense que depuis le début, c'est ce qui était prévu dans l'esprit des concepteurs de cette curieuse forme d'industrialisation, et que même ceux venus après Renault, ont été admis en cours de route, pour des motifs qui échappent complètement à toute logique économique, selon la règle du dernier arrivé premier servi, sur des critères qu'il appartient aux décideurs d'expliquer un jour à la nation. Cela dit, le caractère discrétionnaire, arbitraire et même anarchique de cette instruction, qui fait office de loi au-dessus de la hiérarchie des textes, reflète surtout une vision de la gouvernance, qui ne s'embarrasse ni des lois de l'économie, ni du respect de l'égalité des chances et des opportunités offertes aux opérateurs, et encore moins de logique dans les démarches. Et la preuve la plus frappante, c'est l'omission, volontaire ou involontaire, d'opérateurs existants et opérant avec agrément, et même présents à la foire de la production nationale, sur la fameuse liste, où un opérateur qui semble avoir été agréé récemment, figure à leur place. Le Premier ministre semble nous dire pour paraphraser Louis XIV, qui disait : "L'Etat c'est moi, la loi c'est moi." Quelles seront les répercussions sur le marché automobile ? La première question à laquelle le Premier ministre, qui répond en général sous un angle unique aux questions, est justement quelle est cette alchimie qui pousse 46 marques à déposer des dossiers d'investissement dans notre pays, soit l'équivalent de tous les autres projets au niveau planétaire sur l'année. Et il y a répondu lui-même, en disant que l'Algérie n'était pas prête à importer les mêmes quantités et montants de véhicules en kits qu'en entier, et que nous n'allions pas "manger" nos réserves de change. Il reconnaît de facto que ces industries si attractives pour toutes les marques précédemment concessionnaires dans le pays, n'ont d'industrie que le nom et que c'était justement le mobile de toute cette bousculade pour "construire" des automobiles. Ce qui, au demeurant, serait un droit pour tout un chacun, si des avantages faramineux n'étaient pas accordés a priori à des parties au détriment d'autres, moyennant une promesse d'intégration qui n'engage que ceux qui la défendent au lieu et place des constructeurs, et surtout ceux qui ont conçu la dernière formule d'intégration, qui défie tout ce que le monde a élaboré jusque-là comme règle d'origine douanière. Je ne vois pas une seule autre partie au monde qui admettrait que ce n'est pas une exclusion discrétionnaire. Ce qui aura des répercussions futures assez graves sur nos relations avec des parties dont nous aurons plus besoin, et qui, théoriquement, seront plus disponibles pour nous aider que les parties favorisées dans cette forme de choix unilatéraux. Il est évident que le citoyen, orienté de force vers des marques précises, est déjà pris en tenailles, en matière de services, de prix, de garanties et de maintenance, et même de délais et conditions de livraison, certains constructeurs ayant déjà adopté des méthodes commerciales qui n'ont rien à voir avec la règle internationale en la matière, ni même les règlements locaux. La décision n'est-elle pas en porte-à-faux avec la publication d'un cahier des charges censé encourager l'émergence d'une industrie automobile, de produits compétitifs et éligibles à l'exportation et à la création de valeur ajoutée et d'emplois ? Au vu des lacunes que ce cahier des charges comporte déjà, dans la gestion des taux d'intégration et du suivi des supposés constructeurs établis, cette décision de limitation le rend tout simplement sans objet, au même titre que le décret auquel il est adossé. On ne promulgue pas un texte, général et abstrait, pour le battre en brèche par une instruction, ciblée et limitée dans son objet. Ce qui est encore plus curieux dans cette démarche, c'est que l'instruction du Premier ministre s'adresse au ministre de l'Industrie et des Mines aussi, alors qu''il était censé lui-même définir qui était qui dans cette forêt de demandes, toutes attirées par le même objet, vendre en hors taxes, ce qui est interdit en TTC dans une première mondiale. Affirmer que les producteurs agréés totalisent 400 000 véhicules, après avoir affirmé que le pays n'avait pas vocation à importer en kits les mêmes quantités qu'en modèles montés, revient à dire deux contrevérités dans la même phrase. La première, si nous parlons d'assemblage sérieux, aucun des ces constructeurs ne peut dépasser les 100 véhicules/jour, avec quelques dizaines de quidams sous ou pas du tout qualifiés, en dehors de Renault qui peut tourner à quelque 200 véhicules/jour, soit 30 000 en moyenne au maximum par le constructeur, et 60 000 pour Renault, ce qui nous mène à 180 000 et non 400 000 véhicules/an. La deuxième, les fameux 400 000 véhicules au cas où ils seraient atteints d'une manière ou d'une autre, représenteraient quand même quelque chose qui tourne autour de 6 à 8 milliards de dollars en kits surfacturés, et en hors taxes, avec une moyenne de 15 à 20 000 dollars le modèle. De ce fait, nous aurons quand même dépensé plus qu'en 2013, et sans aucun apport pour le Trésor, et encore moins pour le client, sommé d'acheter à 5,3 millions de dinars, un véhicule qui ne dépassera jamais en Europe en TTC les 30 000 euros, ou en Asie les 27 000 dollars. Je trouve que les réponses à ce genre de mesures peuvent être recherchées partout, sauf dans l'argumentaire du Premier ministre et des responsables et consultants qui vont essayer de vendre cette version des choses. Je pense qu'il aurait mieux valu se concentrer sur un constructeur qui offre dès le départ toutes les garanties et les investissements propres à lancer une véritable usine, en lui offrant des avantages douaniers et fiscaux, liés à ses objectifs vérifiés au départ, et de laisser les autres importer en relevant les taxes pour faire profiter le Trésor de leurs ventes, tout en dissuadant les achats par effet de taxation. La seule chose dont je suis sûr, si les heureux gagnants de cette loterie orientée s'amusaient à importer à tire-larigot, ils ne trouveront jamais dans la société, les 1 000 milliards de dinars qu'ils se proposent de pomper par an. Surtout que le Premier ministre a déjà d'autres formes d'aspiration de revenus dans son escarcelle, et d'autres monopoles à créer dans des domaines autrement plus prioritaires et plus disparates que le véhicule. Pour les véhicules lourds comme les bus, nous semblons condamnés à rouler avec une seule marque, qui, si on en croit les affirmations des responsables de l'industrie, ne semble pas être une marque de renommée mondiale, pour les paraphraser. Entretien réalisé par : Farid Belgacem