La partition est savamment orchestrée pour ne pas conclure à un divorce en bonne et due forme entre celui qui se définit comme le grand serviteur de l'Etat et la présidence de la République. Présenté au lendemain du limogeage brutal et peu orthodoxe d'Abdelmadjid Tebboune comme "l'homme de la situation", de l'aveu même de l'ancien président de l'Assemblée populaire nationale, Abdelaziz Ziari, Ahmed Ouyahia subit, pourtant, depuis quelques semaines, des camouflets en cascade qui ne manqueront assurément pas de peser sur son avenir à la tête de la primature et, par ricochet, sur son avenir politique. Dernier morceau en date joué sur le mode du tocsin — après le cafouillage autour de la liste des concessionnaires, la tripartite parallèle et les critiques du FLN, en présence d'un conseiller présidentiel, autour des déclarations d'Ouyahia sur la situation économique du pays — la fameuse instruction relative aux projets de partenariat public-privé signée le 23 décembre dernier et dont une charte dessine les contours. Alors que l'on pensait que la cause de l'ouverture du capital de certaines entreprises publiques, véritables gouffres financiers, était entendue auprès du syndicat-maison, l'UGTA, et du patronat, voilà que la présidence de la République s'invite pour remettre en cause l'engagement d'Ahmed Ouyahia. "Dans le cadre des projets de partenariat public-privé, nonobstant les dispositions de l'ordonnance n°01-04 du 20 août 2001, relative à l'organisation, la gestion et la privatisation des entreprises publiques économiques, modifiée et complétée, notamment ses articles 20, 21 et 22, j'ai l'honneur de vous faire part de l'instruction présidentielle qui subordonne désormais tout projet d'ouverture de capital ou de cession d'actifs de l'entreprise publique économique à l'accord, préalable, de Monsieur le président de la République", indique l'instruction citée, hier, par de nombreux médias. Les rédacteurs de l'instruction attribuée par le quotidien El Khabar au secrétaire général de la Présidence, Heba El-Okbi, précisent que "la décision finale conclue reste également de la seule prérogative décisionnelle de Monsieur le président de la République". Or, l'ordonnance en question confère au Conseil de participations de l'Etat, que préside Ahmed Ouyahia, tout le pouvoir de trancher toutes les questions liées à la privatisation. Pourquoi alors ce rappel à l'ordre qui vise bien le Premier ministre ? Redoute-t-on que la privatisation envisagée profite aux proches du patron du RND, lequel devrait attendre un retour d'ascenseur en perspective de 2019 ? Le FLN, chef d'orchestre apparent de la partition, cherche-t-il à jeter en pâture un homme qu'Amar Saâdani accusait déjà de "n'être pas honnête" et de tirer quelques dividendes politiques ? "Il n'est pas honnête avec le Président et son objectif est d'être candidat à la présidentielle de 2019", proclamait, en mars 2016, l'ex-SG du FLN, ajoutant qu'il "vit toujours dans les années 90 et on n'a pas confiance en lui". Si Youcef Yousfi, qui était jusqu'à un passé assez récent conseiller aux questions énergétiques à la présidence de la République, s'est laissé aller à la digression sur l'instruction en question et dont on devine qu'il a eu l'aval de qui de droit d'autant qu'il a été relayé par une chaîne érigée comme le porte-parole officieux du cercle présidentiel, cela pourrait suggérer que les jours d'Ahmed Ouyahia sont comptés. Et que l'actuel ministre de l'Industrie et des Mines apparaît comme un potentiel successeur. Reste à savoir si le secrétaire général du RND, dont la carrière s'est faite à l'intérieur du "système", tentera quelque opposition ou manœuvre, comme l'avait fait Benflis en 2003 avec le sort qu'on lui connaît, ou s'il consentira à accepter le sort, lui qui justifie souvent son attitude par la "raison d'Etat", avec le risque, cette fois, d'une... retraite politique, comme nombre de ses prédécesseurs. Karim Kebir