Malgré les menaces à peine voilées proférées par le ministre de l'Enseignement supérieur, les résidents, qui ont accompli avec succès leur cinquième année, ont refusé de subir les épreuves. La Faculté de médecine Ziania sise à Châteauneuf (El-Biar) était, hier matin, singulièrement quadrillée par des centaines de policiers antiémeutes bien équipés. L'impressionnant dispositif sécuritaire déployé depuis 7h, à travers les points sensibles reliant l'université, faisait penser que ces lieux avaient été secoués la veille soit par des troubles, soit pour prévenir d'éventuels incidents qui risquaient de s'y produire. Ce ne sont ni l'un ni l'autre. Le décor sécuritaire planté dans ces lieux abritant de hautes institutions de la République ne laissait deviner en rien la tenue d'un examen permettant aux médecins résidents de changer de statut et de devenir des médecins spécialistes à part entière après cinq années de longues études en résidanat, puisque même des chasse-neige engagés pour réprimer des manifestations populaires étaient immobilisés en face de l'entrée principale de la Fac de médecine. L'événement du jour n'était rien d'autre que le début des épreuves de l'examen du diplôme des études médicales spécialisées (DEMS). "Ils ont ramené toute cette armada de policiers pour surveiller ou réprimer l'élite du pays. Où sommes-nous mon fils ? Ce n'est pas comme cela qu'on construit une nation", dénoncera un sexagénaire choqué par la présence d'autant de policiers aux accès menant à la Faculté Ziania. En effet, ce temple du savoir était quadrillé de toutes parts. Des fourgons de Casques bleus et des 4x4 des brigades mobiles sont stationnés tout le long du boulevard du 11-Décembre où sont implantés le Conseil constitutionnel, la Cour suprême, le Conseil d'Etat. Cet impressionnant dispositif est également mobilisé depuis Chevalley, la cité Gai-Soleil pour être plus précis, en passant par le grand carrefour de Châteauneuf jusqu'à l'esplanade aménagée en face de l'ancien bâtiment de la Faculté de droit. C'est dire que tout est filtré. Ce qui, d'ailleurs, n'a pas manqué de provoquer un énorme bouchon depuis la sortie sud d'El-Biar en passant par le rond-point de l'entrée principale de la Fac de médecine jusqu'aux Asphodèles. ça roulait vraiment au ralenti depuis 7h du matin, alors qu'habituellement, en période de vacances, c'est très fluide. Des équipes pédestres sont déployées tout autour des clôtures de l'est et du nord des amphithéâtres de l'université Ziania. Une chasse aux résidents qui ne dit pas son nom Même des policiers en civil, encadrés par des officiers supérieurs, étaient également au rendez-vous pour scruter le moindre mouvement des médecins résidents qui ont carrément boycotté les épreuves théorique et pratique d'ophtalmologie prévues hier. Malgré les menaces à peine voilées proférées par le ministre de l'Enseignement supérieur, Tahar Hadjar, les DEMSistes, qui ont accompli avec succès leur cinquième année, ont refusé de subir les épreuves. "Les DEMSistes en ophtalmologie n'ont pas passé l'examen de fin d'études par conviction. Ils récusent les menaces de la tutelle qui a excellé depuis le début du conflit dans la fuite et les atermoiements au lieu de se consacrer à trouver des solutions aux problèmes légitimes posés par les 15 000 praticiens en formation. Nous restons intransigeants quant aux 24 points contenus dans la plateforme de revendications soumise au Pr Mokhtar Hasbellaoui, ministre de la Santé, en novembre dernier", fulminera discrètement une résidente, de crainte d'être interpellée par les policiers qui ont lancé, dit-on, une véritable chasse aux sorcières qui ne dit pas son nom. L'on s'est demandé, hier matin, où étaient passés ces futurs spécialistes qui sont en grève ouverte depuis plus de quatre mois pour exiger la suppression du caractère obligatoire du service civil ? La présence des résidents sur les lieux n'était pas souhaitée hier, hormis de ceux qui veulaient passer les épreuves programmées hier par le jury d'ophtalmologie. Les rares médecins grévistes qu'on y a rencontrés nous ont dit faire l'objet d'une chasse inédite alors qu'ils ne sont ni recherchés ni poursuivis pour un quelconque délit. Leur seul tort est d'être toubib spécialiste en formation qui milite pour améliorer le système de santé algérien. "Nous sommes venus aujourd'hui pour réitérer notre détermination à poursuivre notre combat pour la dignité. Rien ne nous fera abdiquer. Ni les menaces de Tahar Hadjar ni les propositions insignifiantes du Pr Hasbellaoui", marmonne un résident. "Nombreux sont les résidents qui ont été interpellés tôt ce matin avant même d'atteindre Châteauneuf. Vers 6h, des policiers commencent à pister et à contrôler les personnes dans les lieux publics pour appréhender un médecin. À Chevalley, ils sont entrés dans les cafés et ont même arrêté nos confrères", témoignera discrètement, non loin de la Fac, un futur spécialiste venu de Blida. Près du siège du Conseil d'Etat, un praticien, qui est passé entre les mailles du filet des policiers, nous prend à témoin pour relater, avec regret, ce que ses confrères ont subi ce matin très tôt aux abords de la Faculté. "Ce matin avant 7h, des résidents ont été embarqués dans des fourgons cellulaires. Ils ont été placés dans des commissariats. Selon les informations dont je dispose, ils seraient une soixantaine à avoir été interpellés. D'ailleurs, je viens d'avoir des échos que des confrères ont été blessés. Ils ont refusé de se faire embarquer comme des criminels parce qu'ils n'ont rien fait. Ils sont injoignables. On leur a enlevé le téléphone", déplorera notre interlocuteur qui poursuivra son témoignage poignant. "Nous n'arrivons pas à comprendre le pourquoi de cette traque, il n'y a aucune raison pour enclencher cette chasse aux sorcières, nous sommes venus aujourd'hui (hier, ndlr) pour dire que les résidents sont toujours pour la poursuite du dialogue constructif qui fera avancer notre dossier, et en face, on nous ramène des brigades antiémeutes pour nous intimider. C'est vraiment désolant. Avec ces agissements, la tutelle est en train de compliquer la situation." À l'intérieur de l'université, rien n'indiquait que des résidents en ophtalmologie de 5e année étaient en train de passer les épreuves du DEMS. Des étudiants des 1re, 2e ou 3e années de médecine ou de pharmacie, auxquels on n'a pas interdit l'accès, faisaient les cent pas non loin du bâtiment abritant la bibliothèque. Le secrétaire général de la Faculté de médecine nous a assurés que pas moins de six résidents sont en train de passer l'examen. Ce que nous a confirmé le Pr Bendib, le doyen de la Faculté de médecine d'Alger. "Sur 70 candidats, six ont accepté de passer l'examen, ils sont dans la salle en train de travailler pour décrocher leur diplôme de spécialiste. Pour le reste, nous avons tout fait pour les convaincre de participer au DEMS, ils ont refusé et préfèrent le boycotter. Qu'ils assument leur responsabilité. Il n'y aura pas de session de rattrapage. Je leur ai dit de venir passer l'examen, tout en poursuivant les négociations autour des points contenus dans la plateforme dans le cadre de la commission intersectorielle. Ils contestent toujours", ajoutera le Pr Bendib, qui est également président de la commission intersectorielle. Pour précision, les six candidats présents hier à l'examen final étaient, selon un membre du Camra, des médecins résidents étrangers. La succession de tels événements désolants ne fait qu'aggraver l'état du système de santé, qui est déjà critique, et multiplier les déceptions des Algériens. H. H.