Entre la répression tous azimuts pour décourager les clandestins et la nécessité d'accueillir les immigrés “utiles”, l'Europe balance sans parvenir à trouver son point d'équilibre. À l'intérieur des frontières des pays de l'Union, le consensus est difficile. C'est notamment le cas en France où plusieurs organisations et collectifs ont organisé, hier, une manifestation contre le plan de lutte contre l'immigration clandestine du ministre de l'Intérieur, Dominique de Villepin. Estimant que ce plan dévoilé, mercredi dernier, constitue “une atteinte à la liberté fondamentale de tous”, les architectes de la manifestation ont condamné “l'hypocrisie du gouvernement”, qui refuse “toute régularisation massive alors que de nombreux rapports soulignent le besoin en main-d'œuvre étrangère”. Le plan de M. De Villepin met l'accent sur une coordination politique et technique “plus efficace” et la mise en place d'une police spécialisée. Entre 200 000 et 400 000 étrangers sont en situation irrégulière en France où le gouvernement de droite de Jean-Pierre Raffarin refuse tout plan de régularisation à l'instar de ce que fait en Espagne, son homologue de gauche, qui est en voie d'offrir les papiers à quelque 700 000 clandestins. La France refuse donc une telle hypothèse craignant d'être perçue comme un “appel d'air” par les candidats à l'émigration. “Nous avons besoin d'être extrêmement stricts et fermes”, se défend le ministre en présentant sa position comme “le seul moyen d'assurer l'intégration des populations étrangères en situation régulière”. Avec un véritable “service public de contrôle de l'immigration, la France se dote pour la première fois de tous les instruments nécessaires”, a-t-il souligné. Un comité interministériel de contrôle de l'immigration “sera chargé du pilotage et de la coordination” tandis qu'un autre, où siégeront les directeurs pour l'immigration des ministères concernés, se réunira chaque mois “pour fixer les objectifs et assurer le suivi des résultats”. Il disposera de “tableaux de bord pour suivre l'évolution des flux migratoires” et cela, a expliqué M. De Villepin, afin de détecter les tendances de “détournements de procédures et décider les mesures à prendre”. Le visa touristique : le sésame De quoi s'agit-il réellement ? L'exemple le plus connu est celui du visa touristique utilisé pour arriver en France avant que le bénéficiaire ne se déleste de ses papiers, se rendant ainsi difficilement expulsable par les autorités qui ne sauraient pas où le reconduire. C'est une pratique à laquelle ont recours nombre d'Algériens même si en la matière, la coopération est positive entre les services consulaires algériens et la police française. L'introduction de la biométrie (relevé des empreintes digitales avant la délivrance du visa) devrait permettre de résoudre cette difficulté. Une expérimentation est en cours dans les consulats de France à Bamako (Mali), Minsk (Géorgie), et Colombo (Sri Lanka) bientôt étendue à San Francisco (USA) et Shanghaï (Chine). Les attestations d'accueil, anciennement désignées sous le nom de certificats d'hébergement et dont la délivrance est rendue difficile, feront l'objet d'un fichier dans chaque commune alors qu'est envisagée la création d'un fichier national. Concernant les mariages contractés à l'étranger par des ressortissants de nationalité française, le plan de M. De Villepin propose une modification du code civil : leur transcription en France ne sera plus systématique, mais soumise à un contrôle de la justice. De leur côté, les demandeurs d'asile devront élire domicile dont la réalité sera vérifiée par la justice afin de prétendre au bénéfice des prestations sociales. Une “véritable police de l'immigration” sera mise en place pour servir de “bras armé” à ce dispositif, partagée entre la police et la gendarmerie nationale. Une augmentation des effectifs de l'ordre de 600 fonctionnaires est déjà envisagée pour la fin 2007. Grâce à la création d'un office central, la gendarmerie se consacrera à la lutte du travail illégal sans lequel les clandestins ne pourraient pas survivre. Le chômage n'est pas le fait des immigrés La France accueille chaque année environ 217 000 immigrés réguliers alors que le pays dispose de 500 000 postes d'emplois vacants et quelque 2,5 millions de chômeurs. Des chiffres qui tordent le cou à l'argumentaire des partis d'extrême-droite qui présentent l'immigration comme une des causes du chômage. Il y a donc un potentiel de travail qui semble rebuter les Français de souche sans être comblé par les étrangers. Dans ces conditions, le ministre de l'Intérieur a assuré qu'il y avait à fournir “un effort de formation pour faire en sorte que ceux qui n'ont pas d'emploi dans notre pays puissent remplir ces emplois vacants”. “Si au bout du compte nous avons besoin d'une main-d'oeuvre étrangère nous prendrons les mesures qui s'imposent”, a dit le ministre qui semblait répondre aux partisans des “quotas d'immigrés” à l'instar de Nicolas Sarkozy, chef de l'UMP, le parti majoritaire. Sarkozy est séduit pas la politique des Etats-unis et du Canada qui recrutent les immigrés en fonction de leurs besoins en main-d'œuvre. La France semble avoir précipité l'application d'un plan européen de lutte contre l'immigration clandestine. Les ministres de l'Intérieur du G5 qui regroupe les cinq Etats les plus peuplés de l'Union européenne, réunis, jeudi, en conseil extraordinaire à Paris, ont annoncé “réfléchir” à la création d'une force de police européenne et d'une force d'intervention aux frontières extérieures de l'UE. “Nous avons besoin d'une force rapide en cas de crise. Elle préfigurerait ce qui pourrait devenir une police européenne des frontières”, a expliqué le ministre français. France, Italie, Espagne, Allemagne et Royaume-Uni ont souhaité que l'Agence européenne pour la gestion des affaires extérieures, créée le 1er mai, soit un “outil opérationnel”. L'Italie encourage même la création d'une “force rapide”. Le fruit de la réflexion devrait être examiné lors de la prochaine réunion du G5 prévue les 4 et 5 juillet à Deauville (ouest de la France). Y. K.