Dans ce roman bouleversant, Yasmine Gharbi-Mechakra s'attaque au fléau des violences faites aux femmes, avec une plume crue, qui nous fait vivre de l'intérieur l'enfer vécu par ces femmes, trop peu écoutées dans notre société. Dans son dernier ouvrage, Sonia, ou le calvaire au féminin, récemment publié aux éditions Média-Plus, la romancière Yasmina Gharbi-Mechakra, délivre une poignante expérience vécue par Sonia, une femme battue. Ecrite, tel un journal de bord, l'héroïne, ou plutôt l'infortunée de sa nouvelle mouture littéraire, nous conte ses déboires à la maison de la belle-famille, après l'évocation, avec son mari de sa prise de la pilule. Celui qui était aimant, attentionné, qui la défendait même contre sa mère, la lune de miel ne durera qu'un temps, puisque coups, intimidations, irrespect et humiliation deviennent le lot quotidien de la jeune femme. Le lecteur devient le seul confident de la malheureuse. Sonia, en cet espace clos, cette prison qu'est devenue la maison de la belle-famille, n'a plus d'autre confident que celui ou celle qui la lit. Coupée du reste du monde, on devine que ces quelques lignes que la jeune femme laisse à la prospérité lui seront salutaires, parce que, d'un côté, elles lui permettent, même si l'œuvre est fictionnelle, de canaliser ses peurs et ses angoisses, et de l'autre, ce témoignage nous fait connaître de l'intérieur, les souffrances des femmes battues, leur détresse et leur isolement. Sans mère, sans quelqu'un pour se soucier d'elle et avec un père démissionnaire, l'adolescente narre cet univers de solitude et de douleur dans lequel elle s'est retrouvée à la suite de la mort de sa mère. Cet évènement tragique fera d'elle "le robot sans cœur et sans émotions", selon sa belle-mère Zakia. Mais la jeune fille se révèle être, bien au contraire, encore plus humaine que tous ces vautours qui l'entourent et qui croient détenir toute la vérité. Puis à la mort de son père, et malgré le traitement qu'il lui a réservé de son vivant — coups, humiliation, abandon... — elle culpabilise et se retrouve à pleurer pour son géniteur. Il y a là une dimension intéressante que Mechakra aura traitée au travers de cette enfant orpheline, abandonnée de tous. Malgré l'épaisse carapace qu'elle s'est construite depuis son enfance, son humanité refait toujours surface, malgré ce qu'elle pense d'elle-même, de sa froideur, de son inhumanité. L'amour de sa mère jusqu'à l'âge de six ans l'aura quand même prémunie contre la haine et la cruauté, grâce à ce noyau fait de force, de volonté et d'amour-propre qu'elle lui aura inculqué. Il faut l'avouer, lire ces pages n'est pas la plus heureuse des exercices à faire. Déchirantes, voire douloureuses, les pages de ce récit nous prennent aux tripes, nous bouleversent, jusqu'à s'imaginer cette Sonia, esseulée, rejetée par tous, ne recherchant malgré tout que sa liberté et une oreille attentive pour l'écouter. Si les femmes qui ont été, ou sont dans cette situation, voient dans cette œuvre un pan de leur vie, qui pourrait aussi, au travers de la force de caractère de Sonia, leur donner le courage et la force de se battre, le lecteur lambda vit de l'intérieur le calvaire de ses milliers de femmes battues chaque jour et qui cherchent une oreille attentive à leurs douleurs. Poignant, cru et narrant avec force détails les coups, les bleus, les contusions et l'effondrement aussi bien psychologique qu'émotionnel, Mechakra dénonce, avec une véhémence singulière, le sort de ces femmes que l'on entend peu. Yasmine Azzouz Sonia, le calvaire au féminin de Yasmina Gharbi-Mechakra Editions Média-Plus, 320 pages, 1000 DA. 2017.