Les 3 000 avocats de la capitale ne lâchent pas prise. Ils menacent toujours de faire grève. Maître Silini a troqué, hier, sa robe d'avocat pour celle de procureur de la République. Habitué des plaidoyers, il a prononcé un véritable réquisitoire contre les responsables de la Cour d'Alger. En sa qualité de président du conseil de l'Ordre de la capitale — il est également bâtonnier national —, l'avocat a exprimé au nom de ses 3 000 confrères, un sentiment de “ras-le-bol” et de profonde “humiliation”. Le dédain confond de nombreux coupables, à leur tête le procureur général. “Les magistrats sont instruits pour casser de l'avocat, le ratatiner”, s'est élevé le premier représentant du barreau. Il a fait part de cette grave accusation au cours de la conférence de presse qu'il a animée au siège du bâtonnat. Ses récriminations ciblent moults pratiques préjudiciables au droit à la défense. Elles vont des plus anodines, comme le passage des robes noires au même titre que les justiciables par un portique métallique installé à l'entrée des tribunaux et la confiscation de leur parking à des abus de procédures d'une gravité extrême. “Tous les droits octroyés au justiciable en vertu des codes de procédures civile et pénale sont remis en cause par les magistrats”, s'insurge Me Silini. Selon lui, les demandes d'appel et les avis d'opposition sont tributaires de l'aval du parquet et de la bonne volonté des greffiers qui à leur tour font la loi. “Les avocats n'ont pas droit de cité au sein de la cour. Tout est fait pour leur rendre la vie dure et les chasser”, tempête Me Silini. Il enfonce le clou en se faisant l'écho d'une révélation détonante. “On apprend aux magistrats à faire des avocats leurs ennemis. En tant qu'ancien magistrat, on me l'avait dit aussi”, confie-t-il. Du simple factotum aux plus hauts magistrats, tous les fonctionnaires de la cour participent à cette guerre contre les robes noires. Allant plus loin, le bâtonnier parle de “persécution”. “Il arrive que les agents de sécurité nous demandent de quitter le tribunal et ferment les portes au motif qu'ils ont reçu des instructions et que les audiences sont terminées”, constate-t-il amèrement. Il renchérit en s'écriant : “Même le greffier se croit chez lui car il est protégé. S'il nous arrive de demander des permis de communiquer — consacrés par l'article 100 du code de procédures pénales —, avec nos clients en prison, il nous demande d'attendre que le parapheur soit rempli — de demandes similaires ndlr — avant de le faire signer”, relate encore le président du conseil de l'ordre. D'après lui, cette négligence est responsable en partie des lenteurs judiciaires. Quelquefois, les justiciables ont beaucoup plus de chances que leurs défenseurs et obtiennent de la main de puissants greffiers, les fameux documents, dont les copies de jugements, monnayant du bakchich. Si Me Silini s'est abstenu d'élargir la pratique de la corruption aux magistrats, il les accable d'une absence d'intégrité, doublée de suffisance. “Le justiciable est leur otage”, assène-t-il. Il est une victime quand le juge d'instruction fait l'impasse sur la présence de la défense à l'interrogatoire et ne l'informe pas de ses décisions, dont la mise sous mandat de dépôt. “S'il arrive à un avocat de demander la mise en liberté provisoire de son client, il commet un crime de lèse-majesté. Or, si on appliquait justement la loi, 99% des décisions de détention préventive sont inutiles”, souligne Me Silini. Les jeunes avocats, fraîchement élus au barreau, sont les victimes privilégiées des magistrats. Leur doyen raconte l'incident arrivé à une consœur, il y a quelques jours. Un verdict a été prononcé à la défaveur de son client. En se rendant chez le procureur pour faire opposition, elle s'est vue tout bonnement rabrouée. Certains avocats inexpérimentés sont “humiliés devant leurs clients au cours des audiences”. De leur côté, les vieux loups sont déboutés, en guise de châtiment de leur insolence. “Souvent, les juges déconseillent aux prévenus de prendre des avocats. De la sorte, ils peuvent faire ce qu'ils veulent”, relate le bâtonnier, outré. Ce règne sans partage sur la cour de justice d'Alger ignore tout de la notion de service public. “Cela fait quatre ans que nous ne nous sommes pas réunis avec le procureur général”, confie le président du conseil de l'ordre. Or, toutes les demandes du bâtonnat sont restées vaines. Le 23 mars dernier, journée de l'avocat, il avait été décidé d'initier une cérémonie en faveur de ses anciens membres, mais les responsables de la cour avaient refusé de lui octroyer une salle. “Tous les magistrats étaient conviés à la collation organisée en l'honneur du ministre français de la justice, Dominique Perben, mais pas les avocats”, s'indigne Me Silini. La coupe devenue pleine, il avait tenu en compagnie des 31 membres du conseil une réunion extraordinaire mercredi dernier. Un communiqué très virulent portant une menace de grève avait sanctionné cette séance. Visiblement ébranlée, la cour a décidé depuis de renouer le contact. “Si le dialogue n'aboutit pas, il appartiendra à la base de décider d'une grève”, avertit le bâtonnier. S. L.