À trop entendre parler du "drame palestinien", les évènements de ces derniers jours ont eu valeur de piqûre de rappel dont l'on aurait préféré pouvoir se passer. La souffrance des Palestiniens a maintenant 70 ans officiellement, mais ses degrés paraissent ne pas connaître de limites. Les dizaines de morts et les milliers de blessés tombés dernièrement sous l'action des troupes israéliennes viennent s'ajouter à la tragédie sans fin vécue par un peuple depuis longtemps lâché de toutes parts. Car, petit rappel de base : les Palestiniens vivent sous occupation. Or, parler d'occupant et d'occupé, revient déjà à constater que le rapport de forces entre Israéliens et Palestiniens n'est absolument pas le même. S'ajoute à cela une autre spécificité, d'ordre juridique et historique : le fait que Jérusalem, ville qu'Israël a déclaré capitale "une et indivisible" en 1980, attend cependant toujours de voir son sort scellé. En 1980, l'ONU avait condamné cette décision de la Knesset et l'avait qualifiée de "violation flagrante de la Convention de Genève" ainsi que de grave "obstacle à l'instauration d'une paix d'ensemble au Moyen-Orient" (résolution 476 du Conseil de sécurité de l'ONU). Mais cette posture onusienne, qui voyait dans la déclaration israélienne de souveraineté sur Jérusalem une décision nulle et non avenue (résolution 478), ne suffira pas à faire prévaloir le droit sur la force. Pour preuve, le fait qu'Israël, à l'anniversaire des 70 ans de sa création, se sente, soutien américain à l'appui, en mesure de faire du transfert de l'ambassade américaine vers Jérusalem un acte par lequel se verrait scellée la confirmation de Jérusalem comme capitale israélienne officielle. Cette décision a beau être illégale, injuste, abusive, faut-il pourtant s'en étonner ? Cela fait plus de sept décennies qu'Arabes et non Arabes chantent le droit des Palestiniens à proclamer leur Etat, "selon ce que prévoient les résolutions de l'ONU" (sic) ; mais la rhétorique n'a jamais atteint le stade pratique. Palestiniens et Arabes ont beau rappeler que leur demande (un retour sur les frontières qui prévalaient préalablement à la guerre des Six-Jours de juin 1967) reviendrait pour eux à accepter de se contenter d'un territoire moindre que celui reconnu initialement par le plan de partage de l'ONU (1947), cela n'émeut pas grand monde. Il en va de même concernant les trop nombreuses victimes et réfugiés bâtis sur les décombres des évolutions israélo-arabes en général et israélo-palestiniennes en particulier, devant lesquels tout un chacun fait mine de s'offusquer, sans plus. Les Palestiniens seraient-ils devenus ces victimes commodes, à travers lesquels beaucoup trouvent un moyen à se complaire dans leurs souffrances et à prétendre souffrir un statut similaire ? Les politiques d'Israël, les positionnements abusifs des Etats-Unis sur la question palestinienne, la démission collective des Européens devant ce même enjeu, tout cela est connu. La souffrance des Palestiniens – dont on ne se lassera jamais de rappeler combien elle est profonde – est tout aussi établie. Bien plus insupportable s'avère cependant la posture d'un grand nombre d'Etats membres de la Ligue des Etats arabes, qui font mine de s'offusquer des assassinats de Palestiniens de ces derniers jours alors que leurs priorités s'avèrent ailleurs. Pour plusieurs de ces pays, l'obsession du moment est plutôt iranienne, et elle mobilise, plus que tout, l'essentiel de leurs efforts. C'est d'ailleurs à ce prix que ces mêmes pays ont virtuellement délégué la défense d'une cause supposément musulmane et arabe, à des pays à majorité musulmane mais pas pour autant arabes. Turquie et Iran s'avèrent ainsi être les défenseurs les plus audibles de la cause palestinienne, rejoints en cela par nombre d'acteurs tout aussi honnis par beaucoup de pays arabes – voir le Hezbollah libanais par exemple. Or c'est cette démission arabe qui coûte le plus cher, aux Palestiniens, comme à l'ensemble des acteurs d'une région qui auront réussi à dynamiter jusqu'au dernier motif d'unité – et de dignité - auquel ils pouvaient s'accrocher. Les lendemains n'en seront que plus rudes. Par : Barah Mikaïl Professeur d'université à Madrid et directeur de Stractegia Consulting