J'ai suivi avec intérêt, tout au long de ces derniers jours, les différents articles, commentaires et déclarations publiés dans Liberté, à l'occasion de la commémoration des massacres du 8 Mai 1945 et des jours suivants, lesquels ont été délibérément ordonnés par l'ex-puissance coloniale à travers le territoire national, et particulièrement à Sétif. Des massacres exécutés par les troupes coloniales françaises et dont ont été victimes des dizaines de milliers d'Algériens, coupables seulement d'avoir exprimé leur aspiration à la liberté, c'est-à-dire d'avoir osé demander la fin de l'occupation coloniale de leur pays. Comme jamais auparavant, cette commémoration par la presse nationale et par le quotidien Liberté en particulier, a mis l'accent sur le débat essentiel dans cette affaire : celui de la nécessaire reconnaissance par l'Etat français de sa responsabilité historique et morale à l'égard du peuple algérien. Or, dans une déclaration particulièrement choquante pour le citoyen algérien que je suis, Monsieur Benjamin Stora, dans un entretien accordé à l'Agence France presse a cru devoir affirmer que : “En France, on n'est pas prêt à débattre.…” Je voudrais tout d'abord m'étonner que M. Benjamin Stora se soit érigé en juge ex cathedra, de l'opportunité conjoncturelle qu'il y avait ou non pour la France, — peuple et Etat confondus —, de s'acquitter enfin, de cet acte de reconnaissance de sa responsabilité historique et morale envers le peuple algérien. En second lieu, et sans vouloir en aucune manière polémiquer avec M. Stora, qui a si souvent affiché ses amitiés algériennes et dont chacun a pu apprécier en leur temps, les attitudes engagées sur des questions de responsabilité historique et morale comparables, — en particulier celles concernant les persécutions nazies contre le peuple juif —, je voudrais rappeler à l'historien qu'il est, qu'il ressort de l'esprit même de la Déclaration universelle des droits de l'Homme que tout ce qui attente à la vie et à la dignité de l'être humain n'est, ni divisible, ni catégorisable, ni hiérarchisable. Et c'est en droite ligne de cet esprit, que la clause d'imprescribilité a frappé de son sceau, les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité. Une clause d'imprescribilité que les législateurs universels, c'est-à-dire les Etats membres des Nations unies ont voulu maintenir suspendue en permanence, tel l'œil de Caïn, au-dessus de la conscience des Etats mis en cause dans ce domaine. Le sens du devoir et de l'honneur, ainsi que la vocation universelle dont se revendique la France, à juste titre, ne sauraient être compatibles, ni avec une attitude qui consisterait à se “défausser” sur des tiers ni à se décharger sur des générations futures, au nom d'on ne sait quel “moratorium”. Ce que semble, d'ailleurs, avoir bien compris un officiel français plus autorisé, en la personne du secrétaire d'Etat français aux Affaires étrangères, M. Renaud Muselier, quand il a déclaré que : “On ne peut construire sur des malentendus.” Et l'on voudrait bien croire qu'il ne s'agit pas là d'une de ces ambiguïtés propres au langage diplomatique… Ce qui semblerait être en totale contradiction avec cette volonté de la France officielle affichée depuis quelques années, de tourner définitivement la page dans ce domaine, à l'égard du peuple juif et des persécutions qu'il a subies, en quelque sorte par délégation, sur le propre territoire français durant l'occupation nazie. Sinon, ce serait en vertu de quelles exégèses du droit, du sens de l'équité et de la justice, la rafle du vélodrome d'hiver serait-elle “qualifiable” de crime contre l'humanité alors que les massacres collectifs d'Algériens, perpétrés par les troupes françaises d'occupation ne le seraient pas ? Je laisse à la conscience de M. Stora et de bien d'autres, le soin de répondre à cette question. A. D.