La poésie du défunt artiste s'articulait essentiellement autour de "trois thèmes philosophiques majeurs, à savoir : la politique, la religion et la liberté". "Lounès Matoub est un homme d'action. Pragmatique, mais il est profondément humaniste. Il est de toutes les luttes. Il s'oppose aux religions, à l'hégémonie de l'Etat, aux calculs politiques manipulateurs, à l'oppression au nom d'un dogme ou d'une langue. Aussi, il s'oppose à l'essentialisme et à la prédestinée humaine. Il est profondément convaincu que l'homme doit contribuer par l'agir à sa destinée. Il est en ce sens un philosophe existentialiste." Telle est la conclusion de la conférence animée, hier matin, au campus d'Aboudaou, par le professeur Ahmed Boualili de l'université Mouloud-Mammeri de Tizi Ouzou, sous le thème "Lounès Matoub : un philosophe méconnu". Intervenant dans le cadre du colloque international, intitulé "Lounès Matoub, biographie et œuvre", qu'organise, les 19, 20 et 21 juin en cours, l'université Abderrahmane-Mira de Béjaïa, le Pr Boualili notera dans sa communication que la poésie du défunt artiste s'articulait essentiellement autour "trois thèmes philosophiques majeurs, à savoir : la politique, la religion et la liberté". Concernant le volet politique, explique le conférencier, "Matoub a de tout temps dénoncé les dérives du pouvoir et ses tenants (exemple : "Tabratt I lhukam"). Alors que dans sa chanson Monsieur le Président, il cite nommément Bakounine. Celui-ci est un anarchiste contre l'hégémonie de l'Etat. Il fait partie, aux côtés de Marx et d'Engels, des détracteurs de la surpuissance de l'Etat qui bride la liberté". Selon l'orateur, bien qu'il soit contre l'Etat, Matoub était pour la démocratie. "Il est pour la promotion des particularités régionales et la reconstitution des communautés. Pour lui, la Kabylie est l'exemple même d'une communauté forte capable de faire avancer l'Algérie. En ce sens, il rejoint Marx qui plaide pour la restructuration de la société au profit de la communauté", a-t-il souligné. Pour ce qui est de la religion, Matoub considère, comme beaucoup d'intellectuels, que "la religion est dangereuse, notamment dans son versant dogmatique", relève ce chercheur universitaire, arguant que "dans sa chanson Hymne à Boudiaf, il dénonce le courant obscurantiste qui va mener l'Algérie au chaos. Il le met dos à dos avec le courant arabo-baâthiste". Et d'ajouter qu'"en ce sens, il rejoint la conception marxiste de la religion comme opium du peuple, notamment à travers sa chanson Allah Ouakbar. Mais aussi de Feuerbach et de Nietzsche qui brossent un portrait au vitriol de la religion". S'agissant de la liberté, celle-ci constitue, aux yeux du conférencier, "un thème majeur de l'œuvre de Matoub", rappelant qu'une chanson intitulée Tilleli, lui est dédiée. "Pour Lounès Matoub, la liberté est un droit naturel inaliénable. Il rejoint dans ce sens la conception des philosophes du contrat social (Rousseau, Locke). Cependant, il s'oppose à la conception de Hobbes, qui considère que la liberté doit être aliénée à l'Etat. Car, lui, il était convaincu que la liberté s'arrache à bras le corps après une longue lutte. Matoub rejoint ici la philosophie existentialiste." Pour sa part, le chercheur-universitaire marocain, Abdelmottaleb Zizaoui, de l'université Ibn Zohr (Agadir), a donné, hier matin, également une communication ayant pour thème "Matoub Lounès : une œuvre, un combat". Ce jeune conférencier, qui appuyait son intervention par des textes puisés dans le riche répertoire artistique de Matoub Lounès, a scindé l'œuvre de ce dernier en deux parties, dont la première est intitulée "Amazighité, union et fraternité", alors que la deuxième est titrée "L'ironie du sort". Dans son exposé, M. Zizaoui a tenu à souligner que le chanteur kabyle, assassiné il y a 20 ans, soit le 25 juin 1998, par un groupe terroriste, sur la route des Ath Douala (Tizi Ouzou), "rêvait de l'union de tous les Amazighes auxquels il ne cessait de lancer des appels à s'unir pour arracher leur liberté". Notons, enfin, que pas moins d'une soixantaine de communications sont programmées pour les trois journées de ce colloque international, initié par le Département de langue et culture amazighes (DLCA) de l'université de Béjaïa et le Centre nationale de langue et culture amazighes (CNLCA), sis au campus d'Aboudaou. Une manifestation scientifique organisée à l'occasion du 20e anniversaire de la disparition du chanteur et militant de la démocratie, feu Lounès Matoub, en collaboration avec l'APW et l'APC de Béjaïa. Kamal Ouhnia