Le ministre de la Justice, Tayeb Louh, a confirmé l'arrestation d'au moins 18 personnes, 6 sont accusées d'implication dans l'affaire des 701 kg de cocaïne et 12 inculpées dans des "affaires de corruption" liées aux activités immobilières de Kamel Chikhi. L'affaire de la saisie de la cocaïne au port d'Oran n'a pas encore livré tous ses secrets. Les instructions, perquisitions et interrogatoires que mène le pôle spécialisé du tribunal de Sidi M'hamed, à Alger, révèlent que les réseaux constitués, au fil des années, par Kamel Chikhi, l'importateur et promoteur immobilier qui croupit actuellement à la prison d'El-Harrach, sont énormes. De l'aveu du ministre de la Justice lui-même, "Kamel El-Bouchi" a réussi à corrompre des cadres de l'Etat travaillant dans plusieurs secteurs, y compris la justice. Jusque-là, la justice a inculpé Kamel Chikhi dans au moins 4 affaires, dont deux liées à ses activités immobilières. Le ministre de la Justice, Tayeb Louh, qui a animé, hier à midi, une conférence de presse à l'APN, a confirmé que des perquisitions sont toujours en cours. D'autres affaires peuvent donc apparaître et d'autres personnes vont certainement être interpellées. Mais en gros, le garde des Sceaux, qui a longtemps insisté sur le respect du principe de la "présomption d'innocence", a confirmé l'arrestation d'au moins 18 personnes, dont 6 accusées d'être impliquées dans l'affaire des 701 kg de cocaïne. Douze personnes sont inculpées dans des "affaires de corruption" liées aux activités immobilières de Kamel Chikhi. Le ministre, qui a mis l'accent sur le fait que ces affaires soient distinctes du principal dossier lié à l'importation de cocaïne, a indiqué que parmi les personnes arrêtées, deux relèvent du secteur de la justice. Mais "cela ne veut pas dire que toute la corporation est impliquée", a relativisé le garde des Sceaux. Tout a donc commencé lors de l'arraisonnement, le 29 mai dernier, d'un bateau battant pavillon libérien et transportant de la viande congelée. Les gardes-côtes ont trouvé à bord 701 kg de cocaïne dissimulés dans des boîtes de viande congelée importée du Brésil. L'enquête mènera les gendarmes vers Kamel Chikhi, propriétaire d'une entreprise d'importation de viande congelée. Le principal suspect résidant à Alger et sa société ayant son siège dans la capitale, c'est au pôle spécialisé du tribunal de Sidi M'hamed que l'enquête est confiée. "Les enquêtes, perquisitions et interrogatoires ont permis aux enquêteurs de saisir, dans le siège de l'entreprise, des CD, du matériel informatique, des caméras de surveillance et des téléphones portables. L'exploitation de ces outils a permis aux enquêteurs de découvrir une autre affaire liée aux activités de promotion immobilière du principal suspect", a détaillé le ministre de la Justice. Tayeb Louh confirme, ainsi, que le promoteur immobilier filmait ses "protecteurs" avant de les arroser d'argent, de biens immobiliers et autres cadeaux. Il a précisé que les personnes interpellées ont "bénéficié de cadeaux en contrepartie de largesses accordées illégalement" au promoteur immobilier. Dans ce volet, Tayeb Louh a révélé qu'une autre affaire de corruption et de passe-droits est en cours d'instruction. "Une troisième enquête est ouverte. Elle concerne d'autres fonctionnaires et intervenants dans le domaine de l'immobilier", a indiqué le ministre, qui a prévu l'inculpation d'autres personnes hier en fin de journée ou aujourd'hui. Il a cité, entre autres, des conservateurs fonciers, des responsables de directions de l'urbanisme et des notaires. En fin de journée, nous avons d'ailleurs appris que le conservateur foncier de la circonscription administrative de Bir-Mourad-Raïs a été écroué, au même titre que d'autres fonctionnaires. Par ailleurs, s'il ne nie pas l'implication de certains fonctionnaires de la justice dans ce dossier, le ministre a tenu à préciser que "nul n'a le droit de citer nommément" des fonctionnaires ou magistrats. Il a même insinué que ces derniers peuvent déposer plainte contre certains médias. Cependant, Tayeb Louh menace "ceux qui veulent ternir l'image de la justice". Contre eux, et "d'autres", il a brandi le glaive de "la justice impitoyable" contre "le terrorisme et la corruption". Un réseau transnational S'il énumère les trois autres affaires dans lesquelles Kamel Chikhi est impliqué (deux sont liées aux promotions immobilières et une autre ouverte pour blanchiment d'argent), Tayeb Louh n'a pas oublié l'affaire de la cocaïne, "la plus grave" à ses yeux. Mais, contrairement aux autres dossiers, l'enquête dans l'affaire de la saisie de 701 kg de "drogue dure" risque de prendre du temps. Toujours au stade de l'enquête, les ramifications de cette affaire s'étendent à d'autres pays. "Nous sommes, sans doute, en présence d'un réseau international de trafic de drogue", a commenté le ministre. Pour démêler les écheveaux de cette affaire, la justice a délivré des commissions rogatoires qui vont enquêter dans de nombreux pays. Il s'agit de l'Espagne et du Brésil. "La justice veut savoir si les gens impliqués ont des liens avec des biens ailleurs, dans d'autres pays", a indiqué Louh. Pour tenter de rassurer sur les intentions des autorités, le garde des Sceaux a répété, à plusieurs reprises, que "la justice sera impitoyable" avec ceux qui sont impliqués dans cette affaire. "Nous sommes intraitables avec les terroristes et les corrompus. J'invite, d'ailleurs, les autres pouvoirs à ne pas être complaisants avec ces gens-là", a indiqué Louh, qui promet de "construire un Etat de droit". L'écho médiatique connu par cette affaire est exploité par le ministre de la Justice pour en faire un argument de campagne. Alors qu'il déroulait les faits de l'affaire "Kamel El-Bouchi", sans "toucher aux détails qui risquent de violer le secret d'instruction", Tayeb Louh a cru bon de rappeler que cette affaire est une preuve que son département est décidé à "construire l'Etat de droit conformément aux promesses du président de la République". La conférence de presse a, d'ailleurs, pris les allures d'un meeting électoral, lorsque le ministre a repris à son compte, à plusieurs reprises, un slogan cher à l'opposition : "Pas d'impunité." Ali Boukhlef