À deux jours du spectacle, la salle Arletty affiche complet, au grand dam des nombreux mais surtout nombreuses “fellagofiles”. C'est à guichets fermés que celui qui a vu partir Babor d'Australie a rivalisé avec le Djurasikpark (sic). Il fait son entrée sous des applaudissements à faire tomber le plafond et, bien sûr, les youyous, une façon de dire “nous sommes là, avec ou sans papiers”. Le public n'est point homogène, “ils” sont venus de partout, de toutes les couleurs, et de toutes les langues qu'ils comprennent. L'algérien est une langue universelle. Le spectacle commence donc dans une salle de cinéma où on projetait à l'époque des films d'Hercule, Troie, Pompei, Dalila…, au temps où l'importance du film se mesurait aux biceps des acteurs, d'une autre époque. Le projectionniste, qui fait défiler le film, écoute aussi la radio pour suivre un match de foot et annonce que la JSK vient d'inscrire un but. C'est le délire dans la salle obscure. Une maman cherche son fils qui a acheté un ticket de ciné avec l'argent du pain. Un morceau de film japonais, collé par erreur, oblige le narrateur Fellag à se mettre à la langue du Soleil Levant ; ça déchire grave, le fou rire dans la salle. Viennent les situations les plus cocasses, mais qui font partie du quotidien de l'Algérien. Fellag nous introduit donc dans l'hiver de l'Algérie colonisée. Les tirailleurs sénégalais arrivent en Kabylie et on découvre qu'un Français peut être Noir. Les patronymiques : on remplace “Mohamed ben Ali, Ben Mouloud ” par “Bouchachia”, “Ne pousser pas”, etc. Le public est plié en quatre. Le départ sur Tizi Ouzou. L'élève Mohamed, nul en français et en arabe, absent en classe même présent, car Mohamed ne reconnaissait pas son nom d'appel. Cela a duré trois mois. Aux jeux avec ceux d'en face, les petits « Gaouris », les parties de foot sont jouées avec les règles du rugby ; le ballon est facultatif ! Et devinez quand les enfant jouent aux gendarmes et aux voleurs ? Respectivement, les premiers sont les petits Blancs car les indigènes n'ont rien à se faire voler. Mais il y avait Jeannette, belle comme un rêve, pleine d'innocence, très proche du petit Mohamed. Mais, depuis qu'il a vu une actrice glamour en habits mouillés, il ne se contrôle plus, et Jeannette a cru que son ami a perdu la tête ; mais non ! Vient l'Indépendance, l'euphorie, la joie, le discours du raïs : “Nous sommes arabes, nous sommes arabes, nous sommes arabes”. Mohamed demande à son père des explications. Rien à expliquer, on change de statut, c'est tout. Les voisins de toujours sont partis, l'un après l'autre et Jeannette aussi. Et en bon voisin, nous sommes 30 millions à vouloir leur rendre visite, sinon qu'est-ce qu'ils vont penser de nous ? Nous, nous ne sommes pas ingrats, ils sont restés chez nous, on fait de même. “Dis, Mohamed, c'est vrai qu'il est possible de pouvoir faire un tour au pays, sans risque ? — Ben ouais ! mais après les prochaines élections. Je ne sais pas quand, mais aux prochaines. Enfin, quand nous-mêmes pouvons rentrer, sans risques, vous pouvez venir”. À méditer. Mohamed a pris sa valise, à l'autre rive, mais ça, c'est une autre histoire, celle du chameau qui fait rire, qui donne à réfléchir, et fait guérir aussi les petites blessures, en attendant les soins intensifs. Les nombreux fans de Fellag, que nous avons interrogés, s'interrogent à leur tour : “Pourquoi on ne voit presque pas Fellag qui ne fait pas dans l'excès, pas vulgaire, nullement ordurier comme certains qui font de l'obscène leur unique répertoire ? Ils se disent comiques…” Une dame, d'un certain âge, trouve trop nul de vouloir faire rire, rien qu'en étant vulgaire. “Fellag, on peut le voir en famille. C'est tout à son honneur”, dit-elle. HAMATOU R.