Maintenant qu'il est bien lancé, le rouleau compresseur de la justice n'est pas près de s'arrêter. Coupables de petites bavures ou de grands délits, les professionnels du secteur font l'objet d'une purge inédite. “Il y a des experts judiciaires, des magistrats et des avocats en prison”, fait observer Tayeb Bélaïz sur le ton de l'avertissement. S'abstenant de jeter l'opprobre sur l'ensemble des fonctionnaires de son département, qui “travaillent en accord avec leur conscience”, le garde des sceaux prévient de sévir contre les fripons. Ceux-là n'ont qu'à bien se tenir, car dorénavant, ils devront répondre de leurs actes devant la loi. Le ministre, qui multiplie ces derniers jours les déclarations sur la moralisation de la vie publique et la chasse aux corrompus, intervenait hier à l'ouverture du premier séminaire sur la médecine légale qui se tient à l'hôtel Sheraton. Il y a quelques semaines, un légiste était écroué à Blida pour avoir délivré une fausse expertise. Ayant une responsabilité à la fois civile et pénale, ce praticien était certes exposé à la justice. Cependant, il aurait pu éviter d'entrer en prison, si comme par le passé, la justice avait fermé les yeux. En tout état de cause, le médecin de Blida pourra toujours invoquer des circonstances atténuantes. Des raisons objectives, dont l'absence d'une contre-autopsie résultant d'un manque d'effectifs, altéreront peut-être la gravité de son acte. Actuellement, uniquement 110 médecins légistes exercent sur le territoire national. Ils restent concentrés dans les grandes villes alors que les régions intérieures du pays en sont dépourvues. “Quelquefois, nous sommes obligés de transporter une dépouille d'une wilaya à une autre disposant d'une morgue”, déplore M. Lazizi magistrat. Deux causes expliquent cette pénurie. Selon le Dr Belhadj, membre de l'association nationale des médecins légistes et secrétaire général du syndicat national des maîtres-assistants, elles résident dans le manque d'attrait exercé par cette spécialité sur les étudiants en médecine, soit une crise de vocation et l'insuffisance de moyens financiers mis à la disposition des services hospitaliers investis dans cette pratique. “Chez nous, la priorité est donnée aux vivants”, regrette le Dr Belhadj. Les résultats de cette négligence sont désarçonnants. Pour pallier les carences en matière de praticiens spécialistes, la justice recourt à des généralistes. “Il arrive aussi qu'on confie une expertise psychiatrique à des psychologues”, avoue le Dr Khadir, médecin légiste à l'hôpital de Saïda. Ses réserves sur la perception ambiante de l'exercice de la médecine légale sont légion. Il se pose tout d'abord un véritable problème d'image. “Nous sommes assimilés à des médecins de morts”, se plaint le Dr Khadir. Pourtant, l'autopsie n'est qu'un volet de la médecine légale. Ses autres pratiques concernent, entre autres, la prise en charge de lésions ou de traumatismes d'origine suspecte sur des individus vivants. Les expertises sont d'une grande utilité pour les victimes dans leur quête d'un jugement équitable. Toutefois, cette estimation est déterminante si elle est bien prise en compte par les magistrats. Or, visiblement, le médecin légiste est rarement considéré comme un partenaire par le juge. Le Dr Belhadj se plaint de “l'absence de canaux de communication”. Le Dr Khadir renchérit en soulignant l'inexistence “de relations institutionnelles”. D'après lui, les légistes doivent être “agréés en tant que personnes morales”. En Europe, les services de médecine légale sont des institutions autonomes et facturent leurs prestations. Chez nous, “les tenanciers des morgues” sont décidément des laissés-pour-compte. À la fois sous-estimés par la santé et la justice, ils se débattent dans leurs difficultés. “On ne peut pas faire fonctionner des services de médecine légale en facturant une autopsie à 500 DA”, s'élève le Dr Khadir. Le recours aux nouvelles méthodes de recherche telles que l'ADN, est pratiquement inaccessible aux légistes, compte tenu du coût faramineux de ce genre d'examen. Le Dr Belhadj cite des cas réduits où le procédé ADN a été utilisé, notamment lors des inondations de Bab El-Oued ou suite à la découverte de charniers dans la Mitidja. Des spécialistes de la Police scientifique présenteront justement, aujourd'hui, les résultats de l'expertise ADN acquise par leurs services en juillet dernier. Onze autres communications sont au programme de cette journée qui sera consacrée à une série de recommandations. SAMIA LOKMANE