Tout concourt, dans ce dossier, à ce constat : le devenir de l'économie nationale est le dernier des soucis des parties impliquées dans cette affaire, du fonctionnaire qui exécute ce qu'il sait ne pas être conforme au droit, au donneur d'ordres qui estime être la source de toute loi et de toute volonté de par sa position. Les différentes péripéties de l'investissement du groupe Cevital de Béjaïa, avec comme point d'orgue la récente reprise de ses équipements dédouanés et sortis du port de Skikda par une escouade des douanes, mettent à mal tout le discours officiel, la crédibilité déjà douteuse, sur les réelles intentions du gouvernement en matière de gouvernance économique. Elles mettent aussi en évidence le fait que l'Etat, dans sa mouture actuelle et passée, n'a de ce nom que la prétention en matière de respect des lois, des engagements et des intérêts du pays, compris dans le sens universel du terme. Cette tendance à régir un pays par le fait du prince, qui s'étend des plus hautes sphères de décision, aux plus bas-fonds de l'administration provinciale ou centrale, n'est pas une nouveauté dans le pays, et ce, depuis sa genèse en tant qu'Etat souverain, après la nuit coloniale dont certains n'ont manifestement retenu que l'existence de deux collèges et de... plusieurs dans le deuxième. Cette réalité se manifeste aujourd'hui d'une manière qui fait fi des formes et même du minimum de respect de ces formes, à un moment où le monde pointe toutes les incartades et ne s'en accommode que le temps de prendre sa part du butin ou de terminer le traitement d'un autre dossier du même cru, ailleurs. Cette même réalité constitue une preuve que si tout devait évoluer dans notre pays, la seule chose qui ne changera pas de schéma est notre gouvernance qui semble avoir coopté l'essentiel de son personnel des limbes d'une époque peu glorieuse de notre histoire et surtout peu évoluée. Mais revenons au problème lui-même, sous tous ses aspects, économiques, juridiques et politiques. L'aspect économique du problème Sous l'angle économique, ce projet qui, manifestement, est "encombrant" pour un autre projet, en cours dans une wilaya limitrophe mais pas encore opérationnel, ne représente aucune forme de concurrence déloyale cet autre projet qui, lui aussi, est le bienvenu, surtout si les intentions du gouvernement sont de lancer une industrie de transformation allant le plus loin possible dans l'intégration des produits transformés. Les produits ciblés étant aussi bien demandés par le marché local qu'exportables en compétitivité avec d'autres marques d'autres pays, les deux projets peuvent se faire une concurrence loyale sur le marché local et international, en fournissant des emplois aux chômeurs et cadres des deux cités d'implantation. Et même sous l'angle de la saturation du marché, le gouvernement n'est pas à la première ni à la dernière saturation programmée du marché, avec des projets peu fiables et peu concurrentiels dans des dizaines d'autres domaines où les faillites prévisibles ou provoquées sont légion. Comme incidence sur le climat général des investissements et l'attractivité économique du pays en la matière, ce genre de manœuvres extra-légales et à but indéfini économiquement pour les autres parties extérieures, ne peut avoir comme résultat qu'une répulsion acquise pour n'importe quel investissement sérieux, initié par des parties sérieuses et, a contrario, une attractivité inverse pour n'importe quelle partie ayant identifié un climat propice à ses projections à court terme pour participer à un processus qui est tout sauf économique. Il est évident que l'intégralité des investissements initiés en partenariat dans le pays depuis 2009 n'a aucune chance de perdurer ni de créer la moindre dynamique économique, une fois les initiateurs partis et les dividendes escomptés prélevés plus en amont qu'en aval de projets, et dans lesquels les partenaires étrangers ne semblent avoir apporté qu'une caution aux opérations et parties locales, tendant presque toutes à exporter des devises avant même le lancement des investissements. Ce qui explique les saintes ligues qui se créent contre tout investissement sérieux. Le stock financier des IDE, à ne pas confondre avec les annonces d'investissement et les crédits ouverts sans limites à ces projets par les banques locales sur des garanties toutes locales et surestimées au départ, est éloquent en la matière, en dehors du domaine pétrolier dans lequel les dividendes prélevés par les partenaires étrangers cumulés représentent dix fois ce qu'ils ont apporté en fonds à ce jour. Dans un pays au chômage endémique et à l'emploi presque intégralement financé d'une manière ou d'une autre par la rente pétrolière convertie en dinars fluctuants au gré des émissions, et dans une région à forte démographie, à l'emploi aussi précaire que la contestation est endémique, parasiter en dehors de tout cadre légal des investissements relevant d'une entité ayant investi partout ailleurs dans le pays est, en soi-même, un signe de contradiction avec tout le discours ampoulé sur la volonté de favoriser l'investissement national et, surtout, un refus d'alimenter les caisses de l'Etat par une nouvelle fiscalité et les réserves de change par de nouvelles exportations. Tout concourt, dans ce dossier, à ce constat : le devenir de l'économie nationale est le dernier des soucis des parties impliquées dans cette affaire, du fonctionnaire qui exécute ce qu'il sait ne pas être conforme au droit, au donneur d'ordres qui estime être la source de toute loi et de toute volonté de par sa position. Et aucune économie ne s'est jamais construite sur cette logique, dans aucune partie du monde, ni à aucune phase de l'histoire de ce monde. Techniquement, même dans les systèmes les plus enclins au coup de force, quand on veut favoriser un investissement sur un autre, on se choisit une partie efficace à soutenir et on lui octroie des facilités de nature à la faire avancer plus vite que les concurrents, ce qui n'est évidemment pas légal mais, du moins, efficace en terme de résultats et moins indécent en terme de méthodes utilisées. Mais chez nous, il est manifeste que l'efficacité du partenaire est moins importante que la destruction du concurrent, quitte à finir avec les deux sur la paille et une catastrophe en guise de résultat. En dehors de ce dossier, des milliers d'autres, moins connus et plus modestes, ont subi pire comme sort ou sont, tout simplement, détruits par une administration sûre de l'impunité dans la nuisance, et ayant peur de s'assumer dans le droit, entraînant au niveau national, de l'Est à l'Ouest et du Nord au Sud, plus de vrais emplois détruits délibérément à coups de mesures discrétionnaires que de faux emplois créés temporairement à coups de milliards de dollars engloutis dans de faux projets. L'essentiel étant que jamais une économie n'émergera d'un tel environnement, vicié et obéissant à tout, sauf aux règles de transparence et d'égalité édictées théoriquement par la Constitution même du pays, mais mises au défi par n'importe quelle partie qui estime avoir intérêt à le faire et le pouvoir de le faire. L'économie étant avant tout affaire de confiance et de sécurité juridique et matérielle de toutes les parties, aucun marché où de telles agressions restent impunies et ne sont même pas empêchées, ne peut tarder à déclarer faillite, une fois devenu un terrain exclusif pour les parties qui n'ont aucune idée du droit d'autrui. L'aspect juridique du dossier Au-delà du volet économique de ce dossier, il existe un volet matériel et juridique à ce vaudeville, où chaque partie se doit d'apporter ses explications à ses positions et agissements et ceci sans compter sur les affirmations et autres penchants malsains de parties incitées ou promptes à sauter sur la cible désignée, histoire de créer un écran de fumée au cheminement erratique du dossier, au risque de déboucher sur des résultats que ne pourra assumer aucune partie, quand viendra le moment de le faire. Commençons par l'investissement de Cevital lui-même. Cet investissement, qui consiste à passer du stade de raffinage d'huiles brutes vers celui de trituration de graines oléagineuses, semble être une extension de la structure existante et s'inscrire dans la continuité d'un processus d'intégration, admis par les instances en charge de ce genre de dossiers au niveau du gouvernement. Il apparaît même qu'il a dû obtenir toutes les autorisations et agréments nécessaires à son lancement. Sinon, ce groupe n'aurait jamais commandé des équipements ne bénéficiant pas des facilités douanières et fiscales prévues par le Code de l'investissement au profit des investisseurs locaux. Les financements bancaires ou propres semblent avoir aussi été débloqués pour l'acquisition des équipements en question, et il y a de fortes chances que ceux-ci soient propres, dans la mesure où l'intrusion de l'EPB dans cette affaire, aurait été de trop, si la possibilité de bloquer les crédits avait été offerte aux parties derrière ce blocage. Les auteurs de pamphlets sur les facilités bancaires et autres aides dont aurait bénéficié ce groupe à un moment donné ont normalement la charge de ce qu'ils avancent, ce dont je doute fort car ni leurs compétences ni les intentions ne s'inscrivant dans l'optique de recherche de la preuve. Ce projet répond donc à l'intégralité des conditions d'investissement édictée par une réglementation pourtant boiteuse et orientée en terme de nature, de qualité des équipements, des projections de production et des financements mobilisés. Il reste, de ce fait, un seul litige supposé être à l'origine de son blocage. Et ce litige porte sur le lieu d'implantation supposé de ces équipements, soit le port de Béjaïa qui a permis d'introduire de manière cocasse l'EPB comme partie prenante et unique dans toutes les procédures ayant permis de retarder sa mise en place à ce jour ! Partons du principe que le terrain est effectivement sujet à litige entre les deux parties. Il existe bien des tribunaux et une Cour de justice au niveau de Béjaïa, de nature à régler ce litige une bonne fois pour toutes et au profit d'une partie ou d'une autre. Or, à ce jour, aucune juridiction n'a tranché la question de ce terrain qui semble être une concession portuaire pour l'investissement initial, et une décharge extraportuaire aménagée par le promoteur lui-même pour l'extension. Et, curieusement, la concession de base, n'a pas donné lieu à autant de bruit et de contestation que le deuxième terrain qui, s'il était propriété ou sous la gestion du port, aurait été occupé par l'entreprise avec une décision de justice et le problème clos une bonne fois pour toutes, du moins en ce qui concerne le lieu d'implantation qui n'a rien à voir avec la suite du projet, qu'aucune loi n'empêche de s'installer ailleurs, ni n'autorise l'EPB à prendre la place des autres institutions dans ce qui ne relève pas de ses prérogatives, soit empêcher des équipements de débarquer, chose jamais vue ailleurs ou à aucune autre époque, y compris dans les républiques bananières ou réputées comme telles. Et même en admettant que cette entreprise portuaire ait des droits acquis sur ce terrain litigieux, accepter la sortie des équipements du port et refuser leur installation sur ce terrain, ou même les saisir par voie de justice une fois installés aurait été plus judicieux et plus rentable pour elle. Ceci, bien sûr, dans le cas où les autorisations et autres permis de réalisation n'auraient pas été établis par les parties compétentes au profit de Cevital et conformément à loi. Or, ces autorisations et permis sont manifestement acquis tant il ne viendrait à l'idée de personne de sensé d'ériger une usine sur un terrain quelconque, sans avoir eu toutes les autorisations utiles, celle des autorités en charge de l'environnement incluse. Et il est manifestement clair que l'EPB et d'autres parties ont agi en amont et en dépassement de prérogatives, faute de pouvoir agir en aval par manque d'arguments, de nature à parasiter l'investissement une fois mis en branle. F. A.-A. (*) Economiste, expert financier