Ce 8 août 2018, nous commémorons le 57e anniversaire de la mort du chef de la Wilaya IV, Si Mohamed. Comme tous les ans, à pareille date, une assistance nombreuse, réunissant ses compagnons, ses proches, des officiels, des membres de sa famille, se rassemble au pied de la stèle érigée en sa mémoire, à Blida, sur les lieux mêmes où mourut au combat Bounaâma avec ses trois compagnons. Sans conteste, l'ALN et la Révolution ont perdu, ce jour-là, l'un de ses plus grands chefs. Bounaâma fut un brillant stratège, autant politique que militaire. Il fut l'artisan, l'architecte de nombreux évènements historiques qui ont pesé sur l'évolution de la lutte en Wilaya IV et contribué à l'issue heureuse de la Révolution. C'est en pleine action et alors qu'une dynamique très forte annonçait l'imminence de la victoire, que Bounaâma est tombé, à Blida, au cœur de la Mitidja. Sa disparition met fin à 6 ans de lutte intense au maquis, où Si Mohamed ne s'accorda aucun répit et durant lesquels il connut des situations très complexes qu'il a su toujours dénouer à l'avantage de la Révolution. Il a accédé à la plus haute responsabilité, chef de la Wilaya, graduellement, au fur et à mesure que le temps passe. Djillali Bounaâma, c'est son vrai nom, est né, le 16 avril 1926 (1), en plein cœur de l'Ouarsenis, à Molière (2), arch Béni Hendel. C'est une région montagneuse, très pauvre, dominant la riche plaine du Sersou qui s'étend plus bas. Il est l'aîné d'une fratrie de deux frères et une sœur. Son frère Mohamed fut emprisonné dès 1955. Sa sœur sera, très tôt, veuve d'un moudjahid, mort au maquis. Son père, cheikh Mostefa, est tué, en 1960, à Béni Bouattab, lors d'un ratissage de l'armée française. Quelque temps après, sa mère, Fatma, meurt dans un bombardement à boccat Meliana (commune de Bordj Bounaâma), dans l'Ouarsenis. Sa maison familiale fut rasée, dès qu'il eût rejoint l'ALN. Après des études primaires, il travaille à la mine de Boucaïd, localité très proche de Molière, le seul employeur de la région. Enrôlé dans l'armée, il sert dans l'artillerie et envoyé en France avant d'être réformé pour maladie pulmonaire. À son retour de France, il est plus résolu, plus entreprenant.Il est syndicaliste, mais il milite aussi au MTLD dont il devient le chef de la section de Boucaïd. En 1951, il est organisateur de la célèbre grève des mineurs de Boucaïd qu'il animera politiquement. La grève de cette mine de plomb qui était exploitée par une société franco-belge, a duré cinq mois.En juillet 1954, il assiste au congrès de Hornu (Belgique), mais il se démarque de Messali. Bounaâma est résolument pour le passage à l'action armée. Il ne participe pas à la préparation du 1er novembre 1954. Mais, dès les premiers jours, il est arrêté. Il raconte que les policiers qui sont venus le prendre ont glissé un pistolet dans sa poche. Il est incarcéré à Serkadji (ex-Barberousse). Relâché en 1955, il est assigné à résidence, à Oran. Il ne tarde pas à s'enfuir et regagne Chlef où il prend contact avec l'organisation, notamment avec Si Baghdadi (Allili Mohamed) qui sera, plus tard, le premier chef de la zone 3 de la Wilaya IV. Avec quelques compagnons, il entreprend la grande tâche de la pénétration dans la plaine du Chélif, l'Ouarsenis et le Dahra. Il fallait œuvrer pour convaincre la population des dechras de la justesse de la lutte, vulgariser ses objectifs, expliquer le contenu de l'Indépendance. Il fallait recueillir l'adhésion et le soutien du plus grand nombre possible de militants, organiser les merkez dans les campagnes et les régions de montagne, implanter des refuges dans les villes et y former les premières cellules du FLN. Le tâche ne fut pas aisée, particulièrement, dans l'Ouarsenis où des groupes d'obédience messaliste avaient devancé l'ALN et s'y étaient déjà implantés. Le premier de ces groupes avait pris pied aux Trois Marabouts (Sidi Salah). Si Mohamed usa de la diplomatie, de la ruse et aussi de la force pour réduire ces entités hostiles au FLN. Il parvint à convaincre quatre éléments du groupe de rejoindre le FLN, dont Serbah (3), qui est devenu, par la suite, le meilleur spécialiste des explosifs de la wilaya. Il en fut de même du groupe de Masmoudi, lequel, originaire de Ammi Moussa, s'était installé à Zakour (commune de Beni Lahcène) ; Si Mohamed parvient à isoler Masmoudi et à le priver de ses partisans, au prix d'une manœuvre empreinte de ruse et de témérité. A la fin de l'année 1956, le FLN/ALN s'impose, définitivement, comme le seule force qui lutte pour la libération du pays, aussi bien dans l'Ouarsenis que dans le Dahra et sur tout le vaste territoire de la zone 3. Lors de la réunion de la zone 3 tenue fin 1956, consacrée à la mise en place des nouvelles structures décidées par le Congrès de la Soummam, Bounaâma est nommé membre du Conseil de zone, lieutenant militaire. En automne 1957, il accède au grade de capitaine, chef de la zone 3. Bounaâma était un grand organisateur. Il parvient à faire de la zone dont il avait la responsabilité une zone très structurée et ordonnée, aussi bien au niveau la population que des unités combattantes. L'Ouarsenis, plus particulièrement, fut un modèle du genre et devint un bastion inexpugnable de l'ALN. Pendant près d'une année, l'armée française ne s'y aventurera guère, tout en poursuivant ses raids aériens quasi quotidiens. Durant l'automne 1957 et le printemps 1958, ces campagnes de bombardements ne purent venir à bout du courage et de la résistance du peuple de l'Ouarsenis. Des guetteurs occupaient pratiquement toutes les crêtes des montagnes et signalaient immédiatement l'arrivée des avions dès que ceux-ci s'approchaient des dechras, après leur décollage de l'aérodrome militaire de Chlef. Ainsi alertés, les habitants des dechras ciblées rejoignaient les casemates avant que les aéronefs n'arrivent et n'entament leurs ignobles destructions. Sur le plan économique et social, les dechras étaient suffisamment approvisionnées à partir du Sersou, grâce à l'action des mouhafadh (commissaires politiques) et des responsables de l'intendance. À Bab El-Bekouche, plaque tournante de cette partie ouest de l'Ouarsenis, étaient installés les services qui assuraient les fonctions diverses : infirmerie, génie militaire, cantine, atelier de confection, postes de "tissals" (agents de liaison). Au cours de l'automne 1958, Si Mohamed rejoint la wilaya en tant que commandant militaire. Le Conseil dirigé par le colonel Si M'hamed comprenait aussi Si Salah (Zaamoum Rabah). Si Mohamed laissa une zone 3 organisée, structurée, forte, la meilleure de la wilaya. La zone a été confiée à Si Khaled, jeune étudiant en droit, qui était son adjoint politique, afin de continuer l'œuvre de Si Mohamed. À la mort de Si M'hamed Bougara, le 5 mai 1959, Si Mohamed assura la direction de la wilaya IV, collégialement avec le commandant Si Salah. Au printemps 1959, il se trouve dans l'Ouarsenis où il aura à affronter une rude tâche : faire face à la grande offensive militaire française connue sous le nom de plan Challe, du nom du général, commandant en chef des forces françaises en Algérie. Ce plan est enclenché d'abord en Wilaya V, sur la partie extrême de l'Ouarsenis. C'est l'opération "Couronne" (6 février-6 avril 1959). L'offensive Challe mobilise des unités d'élite constituant les réserves générales, une force estimée de 40 000 à 56 000 hommes. Très mobile, dotée d'énormes moyens, elle se déplace d'ouest en est, d'un barrage frontalier à l'autre, tel un rouleau compresseur. Les troupes des secteurs lui servent d'appoint. Ces réserves générales ont pour mission d'occuper, en force, pendant plusieurs mois, chacun des massifs montagneux où évoluent les katibas et les commandos zonaux de l'ALN. L'aviation, désormais partie prenante dans la bataille, et non plus arme d'appui à l'armée de terre, engagera un nombre impressionnant d'avions de tous types et d'hélicoptères qui sont, pour la première fois, armés de mitrailleuses. Les unités de la Wilaya V, notamment celles de la zone 7, sont contraintes de traverser l'oued El-Had et la route El-Had - Ammi Moussa et rejoignent l'autre partie de l'Ouarsenis en wilaya IV. Elles seront rattrapées par l'opération "Courroie" que l'armée française engage, en avril 1959, en Wilaya IV. Les katibas de la Wilaya V et celles de la Wilaya IV livrent combat à l'armada ennemie. De violents accrochages ont lieu occasionnant beaucoup de pertes de part et d'autre. Si Mohamed réagit. Il comprend vite que cette offensive ne ressemble en rien aux opérations que l'ALN avait connues auparavant. Il ordonne aux unités d'éviter d'affronter l'ennemi et de ne plus livrer de combats. Il décide d'éclater les katibas en petits groupes, leur ordonne de quitter les montagnes et de se rapprocher des plaines et des faubourgs des villes. Ces groupes devraient harceler les objectifs militaires quels qu'ils soient. Grâce à cette nouvelle tactique, il parvient à éviter la destruction des katibas. Malgré les dégâts subis, les massacres effroyables dont les populations ont été les victimes, les destructions des dechras, l'Ouarsenis ne plia pas. Challe est contraint de recourir à une autre opération sur l'Ouarsenis, appelée "Cigale", menée en août et septembre 1960. Elle visait également l'élimination de Bounaâma. Toujours dans le but d'éliminer Si Mohamed, l'armée française avait auparavant, en mars 1960, engagé l'opération "Matraque" dans l'Ouarsenis. Plus tard, l'élimination de Si Mohamed fut l'objectif de l'opération "Antoine", du 6 mars au 17 avril 1961, ordonnée par le commandant en chef en Algérie. Pour rappel, l'offensive Challe se poursuivra en 1959, avec les opérations "Jumelles", engagée dès juillet, en Wilaya III, puis "Etincelle", le même mois, en Wilaya I et "Pierres précieuses", en septembre, en Wilaya II. Après le départ du général Challe, le général Gracieux poursuivra, en 1960 et 1961, d'autres opérations. Faut-il préciser que cette politique qui vise l'anéantissement de l'ALN, le déplacement massif des populations, l'extension des zones interdites, le quadrillage militaire par l'implantation de postes fut entreprise sous le règne de De Gaulle, et ce, quelques mois après son retour au pouvoir en juin 1958 (4), l'instauration de la Ve République et sa prise de fonctions comme président de la République (5), le 8 janvier 1959. Témoignage de : Omar Ramdane Ancien officier de l'ALN, compagnon de Si Mohamed 1- Medjahed Mohamed, Hadj Hocine, très proche de Bounaâma, natif comme lui de Molière, et qui fut un de ses compagnons au maquis, a apporté une contribution précieuse à ce témoignage. 2- Molière a été rebaptisée, après l'indépendance, Bordj Bounaâma, en hommage à l'illustre chahid. 3- Serbah Kaddour forma de nombreux artificiers de l'ALN. Sa tête fut mise à prix par l'armée française à cause des dégâts et pertes qu'il leur occasionna, notamment sur l'axe routier Chlef-Bordj Bounaâma. 4- De Gaulle est revenu au pouvoir, suite à la grave crise provoquée par l'impuissance de la IVe République française à faire face à la Révolution du 1er novembre 1954. Il fut investi Premier ministre en juin 1958. 5- Suite à son élection le 21 décembre 1958.