Encore peu développée, la valorisation des peaux ovines et bovines aurait d'importants atouts économiques. La filière reste freinée par un système de collecte quasi inexistant jusqu'ici, voire par des phénomènes délictuels, à l'instar du trafic et de la contrebande aux frontières. L'annonce du ministère de l'Industrie et des Mines de vouloir organiser la collecte des peaux d'ovins, de bovins et de caprins, issues de l'abattage lié au sacrifice de l'Aïd el-Adha, aiguise l'appétit des tanneurs algériens. C'est un important gisement de matière première. Les 6 tanneurs publics et les 17 transformateurs privés pourraient ainsi récupérer 800 000 peaux à la suite de la campagne de collecte lancée par le ministère de l'Industrie et des Mines. Ce ne serait qu'un début. La quantité exacte de matière première à récupérer chaque année est estimée à 4,5 millions de peaux. Taoufik Berkani, directeur général de l'EPE Aced (Algérienne du cuir et dérivés), filiale du groupe Getex, contacté par Liberté, se hasarde sans risque à évaluer la production future si les tanneurs parvenaient à récupérer les 4,5 millions de peaux jetées chaque année dans la nature. "Cette quantité de matière première permettrait la fabrication de 700 000 vestes en cuir", souligne-t-il, comme pour pointer un gisement d'une valeur inestimable. À l'origine de cette démarche plaidant pour l'organisation de la collecte des peaux issues de l'abattage lié au sacrifice de l'Aïd el-Adha se trouve un sentiment de révolte. Les tanneries algériennes fonctionnent à 50% de leurs capacités, alors qu'on envoie annuellement 4,5 millions de peaux à la poubelle. Les tanneurs publics disposent d'une capacité de traitement de 3 millions de peaux, tandis que le parc industriel privé jouit d'une capacité installée pour la valorisation de 6 millions de peaux. Néanmoins, les quantités de peaux collectées annuellement ne dépassent pas 1,5 million d'unités ovines et 800 000 unités bovines, selon Taoufik Berkani. À terme, le but est "d'être capable de collecter et de transformer les 4,5 millions de peaux, ce qui augmentera assurément les capacités de production", estime Taoufik Berkani, qui est aussi président en exercice de l'Association des tanneurs algériens. Pour lui, cette volonté d'organiser la collecte des peaux doit s'inscrire dans une stratégie à long terme. "C'est une opportunité que nous saisissons. L'intérêt est triple. Le but n'est pas uniquement d'augmenter les scores en matière de production, mais aussi d'élever la filière cuir au stade premium pour qu'elle puisse contribuer à l'essor de toute une chaîne de valeur", explique le DG de l'EPE Aced. L'intérêt est donc double. Voire triple. Car, à terme, il s'agit aussi de mettre les produits et la matière première sur les marchés internationaux. Actuellement, les six tanneries publiques exportent annuellement 10 à 12% de leur production, tandis que les tanneurs privés acheminent 25% de leur production à l'international. Encore peu développée, la valorisation des peaux ovines et bovines aurait d'importants atouts économiques. La filière reste freinée par un système de collecte quasi inexistant jusqu'ici, voire par des phénomènes délictuels, à l'instar du trafic et de la contrebande aux frontières. Le cheptel algérien est évalué à plus de 35 millions de têtes. Il est réputé pour être de qualité supérieure ; la matière première constitue un gisement à haute valeur ajoutée pour l'économie. Les enjeux de l'amélioration de sa collecte sont multiples. Les peaux ovines constituent plus qu'un seul intrant, puisque la laine représente aussi un gisement important."C'est un créneau à développer car il y a une importante demande en cette matière première, tant chez les industriels algériens qu'étrangers", fera remarquer Taoufik Berkani. En tout cas, pour les opérateurs de la filière cuir et dérivés, l'organisation de la collecte des peaux va permettre de les accompagner dans la quête de croissance et de développement de nouvelles lignes de métier. Mais également d'accroître leur visibilité sur les marchés extérieurs. Preuve en est les ambitions que nourrit le groupe Metidja qui entend renforcer, dès septembre, ses capacités de production à travers l'installation d'une nouvelle usine spécialisée dans le lavage de la laine. Cap sur les marchés extérieurs Le groupe Metidja envisage d'investir davantage dans la récupération des peaux et d'atteindre 2 millions d'unités ovines dès l'année prochaine, voire 4 millions d'unités à moyen terme. 20% des cuirs issus des 2 millions de peaux récupérées seront acheminés sur les marchés internationaux, tandis que les 80% restants seront transformés en gélatine qui sera, à son tour, destinée exclusivement à l'exportation. Quant à la laine produite, elle devrait être mise en valeur et exportée également vers plusieurs pays du Vieux Continent et du Moyen-Orient, explique Zoubir Cheboub, directeur technique au groupe Metidja. Longtemps pénalisés par une filière mal organisée, les tanneurs voient désormais grand et entendent profiter pleinement des velléités de valorisation affichées par les pouvoirs publics. Plusieurs d'entre eux, à l'instar du groupe Metidja, lorgnent les marchés extérieurs, tant il est vrai que les peaux et la laine des ovins algériens sont réputées pour être de bonne qualité. Zoubir Cheboub, ingénieur en tannerie qui a fait ses études en France, et dont le père a blanchi sous le harnais dans l'industrie du cuir, estime que le pays dispose d'un gisement méconnu, mais dont la valeur est grande. Son entreprise exporte annuellement un volume de 800 000 peaux. L'objectif est d'atteindre un volume de 2 millions de peaux dès l'année prochaine. Selon notre interlocuteur joint par téléphone, il y a nécessité d'aller encore plus loin dans la valorisation des produits de la filière cuir et dérivés. Le gisement en matière première pourrait profiter à une industrie agonisante, et dont l'importation a été le principal concurrent durant plusieurs années. Convaincus de l'importance de se substituer au choix de l'importation, plusieurs tanneurs insistent sur la nécessité d'organiser rapidement la filière, tant dans son amont agricole que dans son aval industriel, à même de pouvoir répondre aux enjeux en matière de couverture des besoins nationaux et de diversification des ressources en devises. Ali Titouche