Depuis des années, les rares entreprises de fabrication de produits à base de cuir, les artisans en maroquinerie, les tanneries, éprouvent des difficultés pour acquérir cette matière première. Des millions d'ovins sont pourtant sacrifiés annuellement, ce qui devrait garantir la demande en cuir en Algérie. Or, les professionnels ne parviennent pas à acquérir les quantités recherchées malgré la forte baisse des activités utilisant le cuir. Les tanneries, par exemple, qui résistent encore à la dégradation de la filière cuir ne parviennent pas à faire fonctionner leurs ateliers à pleines capacités. Beaucoup de commerçants de produits de cuir ont préféré baisser rideau en raison du manque de la matière première sur le marché. Les artisans de la maroquinerie abandonnent eux aussi progressivement leur activité en raison de la hausse continuelle des prix de la matière première. Le pied, l'unité de mesure adaptée pour le cuir qui représente une pièce de 30 cm/30cm, est passé de 35 DA, il y a six ans, à une moyenne de 180-250 DA, nous a indiqué Zoubir Azzouz, artisan en maroquinerie. Le prix des toisons de mouton a augmenté aussi de 150 à 550 DA/pièce. En plus de la hausse des prix, il est difficile aussi de trouver du cuir de qualité, a-t-il ajouté. Certes, le nombre d'ovins et de caprins tués a reculé depuis des années, mais ce n'est pas là l'unique cause du manque de cuir sur le marché. Les professionnels parlent en premier lieu de la désorganisation de la filière gangrénée également par l'informel. «Seuls 20% du cheptel passent par les abattoirs réglementés», disent-ils, en soulignant que la situation est aggravée par la contrebande aux frontières. La prédominance de l'informel rend difficile l'établissement des statistiques concernant la production des peaux et cuir chez nous. Ce pourcentage minime de quantités de peaux commercialisées légalement ne suffit pas pour répondre à la demande des tanneries, même si les privés peuvent s'approvisionner sans facture. Leurs homologues du secteur public sont obligés de se conformer au code des marchés publics. Une procédure qui les pénalise lourdement et réduit énormément leur production. «Nous sommes pénalisés car nous sommes obligés d'acheter avec factures conformément au code des marchés publics. C'est un sérieux problème que les pouvoirs publics doivent résoudre», nous a indiqué Abdelkader Amouri, P-DG de la tannerie, mégisserie, SPA de Rouiba (TAMEG), filiale du groupe Leather Industry. Handicapées par le commerce informel des peaux et cuir et perdant graduellement des parts de marché, les entreprises publiques risquent tout simplement de disparaître, avertit M. Amouri. Cet industriel, en parfait connaisseur de la filière, montre aussi du doigt l'absence de collecteurs «légaux» des peaux et cuir. Ce qui constitue une contrainte de taille pour eux. «Sans facture nous ne pouvons travailler», a-t-il expliqué en avouant que l'absence de factures et de documents sur les produits exigés dans toutes les opérations d'exportation, entrave tout appel d'offres. Pour l'exportation, «nos fournisseurs doivent nous remettre des documents justifiant le règlement des charges alors que ce n'est pas de nos prérogatives», a-t-il relevé. «Nous ne pouvons pas jouer le rôle du fisc. Ce n'est pas à nous de demander aux entreprises de collectes d'être à jour vis-à-vis des impôts», a-t-il insisté. Le problème du marché des peaux brutes se pose avec acuité à cause de l'exportation frauduleuse et la vente informelle au niveau local. Les quantités de peaux collectées dans le cadre légal ne peuvent pas répondre à la demande des tanneries qui sont obligées de réduire leurs capacités de production du cuir semi-fini. La demande sur les peaux brutes a augmenté depuis la création des tanneries privées. Quant à l'exportation frauduleuse via les frontières, il n'existe pas d'informations vérifiées sur son ampleur, a noté M. Amouri. Ceci étant, «si l'informel persiste, le marché du cuir brut va nous échapper», a-t-il avoué.
Les peaux de moutons sacrifiés : un gisement de cuir perdu Ce professionnel a relevé aussi les millions de peaux de moutons qui atterrissent dans les décharges publiques, notamment lors des fêtes de l'Aïd El Adha. Les familles algériennes, pour une raison ou une autre, ne traitent plus les toisons et préfèrent s'en débarrasser. C'est une grande perte qu'il est pourtant facile de récupérer avec l'organisation de la collecte. Il a estimé, en ce sens, que leur récupération peut constituer «un trésor» pour le pays puisque cela permettrait d'assurer le fonctionnement, durant une année, à trois importantes tanneries. Cependant, la récupération des peaux brutes ne se fait pas par des professionnels d'où la perte d'une grande partie. Si l'abattage est effectué dans les abattoirs, il sera possible de récupérer une importante quantité de peaux à exploiter par les tanneurs. La filière du cuir s'est dégradée depuis la fermeture des entreprises publiques de chaussures et de l'habillement. Mais une reprise est envisagée grâce à la relance de trois entreprises publiques de la chaussure. «Nous n'avons pas peur de la concurrence pourvu que les conditions de travail soient égales pour l'ensemble des intervenants qu'ils soient du public ou du privé.»
Les tanneurs saisonniers : que du bénéfice Le prix du cuir n'est pas déterminé en fonction de l'offre et de la demande, mais il répond à d'autres critères comme la spéculation. Malgré les fluctuations de prix injustifiées, «nous arrivons à réaliser une marge bénéficiaire qui a certes diminué au fil des années à cause des multiples contraintes», a souligné M. Amouri. Des professionnels de la filière ont dénoncé, par ailleurs, les tanneurs saisonniers venant de Turquie, Tunisie ou Syrie qui profitent de la désorganisation du marché pour créer des tanneries clandestines. Ces concurrents déloyaux saisissent des opportunités et font des profits au détriment des entreprises qui opèrent dans la légalité et se conforment aux normes de production. «Nous traitons les eaux rejetées et nous respectons les normes de production, contrairement aux tanneurs saisonniers.» Ces derniers influent sur la hausse des prix et favorisent la spéculation. La rentabilité est le seul critère de fixation des prix qui restent instables. Les tanneurs nationaux ont réclamé, il y a quelques années, au ministère du Commerce l'interdiction de l'exportation des peaux brutes mais en raison des contraintes actuelles de la filière, ils demandent de suspendre l'exportation du cuir semi fini. La collecte doit être contrôlée en plus de l'instauration des mesures incitatives pour encourager l'abattage dans les abattoirs. En organisant le marché, l'Etat pourra récupérer des montants appréciables en terme d'impôt et réalisera des recettes en devises en exportant du cuir fini, sans omettre les centaines d'emplois à créer.