Dramatisant volontiers l'enjeu de la consultation, le président Jacques Chirac a assuré que l'avenir de la France et de l'Europe était en jeu. Et en écho à cette incantation, des dirigeants européens en exercice ont volé au secours de leurs amis français : l'Allemand Gerhard Schröder était à Toulouse et l'Espagnol Jose Luis Zapatero à Lille. Le président de l'UE, le Luxembourgeois Jean-Claude Junker, et l'Italien Silvio Berlusconi ont lancé des appels aux électeurs français visiblement déterminés à se venger d'un président qu'ils ont élu en 2002 avec un score sans précédent de 82% dans un réflexe de survie face à la menace de l'extrême-droite, dont le chef de file Jean-Marie le Pen avait réussi l'incroyable pari d'éliminer le socialiste Lionel Jospin. “Il s'agit de votre avenir et de celui de vos enfants, de l'avenir de la France, de l'avenir de l'Europe”, a plaidé Jacques Chirac qui vient de fêter ses 10 ans à l'élysée avec l'angoisse d'un échec qui affaiblirait son autorité en France comme en Europe pour les deux dernières années de son mandat. Initiateur de ce référendum, Chirac a mis toutes ses forces dans la bataille afin de convaincre les Français de voter “oui”. Il a toutefois exclu de démissionner s'il n'était pas entendu, comme l'avait fait le général De Gaulle après le référendum perdu sur le Sénat et la régionalisation en 1969. Même si Chirac refuse ainsi de lier son sort à celui de la consultation populaire, un “non” ne manquerait pas de sonner comme un camouflet et un échec majeur dans une longue carrière politique fertile en rebondissements, et ne manquerait pas de peser lourd sur la fin du quinquennat prévue en mai 2007. Son épouse Bernadette a expliqué qu'un “non” “fragiliserait le chef de l'Etat dans les sommets internationaux”. Sur le plan intérieur, il serait alors très difficile à M. Chirac de briguer un troisième mandat. Le Président et son entourage laissent planer le doute sur une telle possibilité face aux ambitions présidentielles du chef de l'UMP, le parti majoritaire, l'ancien ministre Nicolas Sarkozy, le grand rival de Chirac au sein de la droite. Un “non” au référendum viendrait en outre s'ajouter aux sévères défaites de la droite aux élections régionales et européennes en 2004. Durant la campagne, la cote de popularité de Chirac n'a cessé de dégringoler. Face à ce climat de mécontentement accru par un fort sentiment d'anxiété sociale, M. Chirac a promis une “nouvelle impulsion” après le référendum. En termes moins nuancés, il s'agit d'un remaniement du gouvernement dirigé par Jean-Pierre Raffarin. Le ministre de l'Intérieur, Dominique de Villepin, un fidèle chiraquien, est considéré comme un prétendant à la succession dans l'hypothèse où le Président déciderait de renvoyer M. Raffarin qui bat des records d'impopularité en raison de sa politique libérale. Le libéralisme attribué au Traité européen est d'ailleurs le sujet qui cristallise l'hostilité de la gauche. Les sympathisants de gauche s'apprêtent à rejeter massivement le traité persuadés qu'une négociation sera possible malgré les dénégations sur l'existence d'un “plan B”. Chez les partisans du “oui”, à gauche comme à droite, l'heure des bilans des règlements de compte a déjà sonné. Une victoire va laisser un Président durablement affaibli, une majorité de centre droit confrontée à une guerre des chefs et un Parti socialiste au bord de l'implosion. “Chacun est déjà dans l'après-non”, assurait d'ailleurs le quotidien conservateur Le Figaro en évoquant “les couteaux qui s'aiguisent” en coulisses à coups de petites phrases assassines sur les erreurs stratégiques qui auraient conduit à la défaite. Les rivalités personnelles ont à nouveau pris le pas sur les autres considérations, notamment entre deux des principaux successeurs possibles de M. Raffarin, le ministre de l'Intérieur Dominique de Villepin, qui n'a jamais appris à caresser la légitimité populaire, et le très populaire chef de l'UMP Nicolas Sarkozy qui ne s'est pas privé d'allumer son rival. “Ceux qui ont le droit de parler au nom de la France sont ceux qui ont affronté une fois dans leur vie le suffrage universel”, a-t-il lancé. Du côté des socialistes, la situation est potentiellement explosive. C'est, en effet, leur électoral traditionnellement pro-européen qui fait le plus défaut au camp du “oui”. À l'exception notable du numéro 2 du PS, Laurent Fabius, les ténors du parti ont fait campagne pour le “oui” après avoir cru régler les dissensions en organisant un référendum interne qui avait approuvé le texte à 58%. Un congrès extraordinaire est déjà envisagé avec comme possible résultat l'éclatement du parti auquel ne survivrait pas le premier secrétaire François Hollande, un “leader limité”, selon l'expression du quotidien de gauche Libération, qui n'aura pas réussi à imposer son autorité. Yacine KENZY