Le verdict des urnes, qui affaiblit fortement le président Jacques Chirac, maître-d'œuvre du référendum, ainsi invité à enterrer son rêve d'un troisième mandat, a fait une première victime en la personne du Premier ministre, Jean-Pierre Raffarin, accusé d'avoir gravement nui à la cause du “oui”. Choc, séisme, ouragan, tsunami, cataclysme : hommes politiques et analystes ont rivalisé de dramatisation pour tenter d'expliquer le refus des électeurs français de la Constitution européenne qui leur était soumise, avant-hier, par voie référendaire. Pionnière de la construction européenne depuis 1957 avec l'Allemagne dont elle en est le moteur, la France est incroyablement le premier pays à rejeter la Constitution déjà adoptée par neuf autres membres de l'union. Une attitude qui risque de faire exemple et de remettre en cause l'édification de ce grand ensemble destiné à rétablir les équilibres dans un monde qui se globalise sur le modèle américain. Le verdict des urnes, qui affaiblit fortement le président Jacques Chirac, maître-d'œuvre du référendum, ainsi invité à enterrer son rêve d'un troisième mandat, a fait une première victime en la personne du Premier ministre, Jean-Pierre Raffarin, accusé d'avoir gravement nui à la cause du “oui”. L'ampleur de la victoire du “non” n'a laissé aucune chance à ce notable de province qui bat des records d'impopularité et dont la politique libérale semble avoir cristallisé une anxiété sociale qu'il n'a pas voulu entendre. Le malaise latent de la société française a submergé l'enjeu européen pour s'installer dans une crise majeure. “La vox populi a divorcé de manière cinglante avec la vox deï”, notait délicieusement un éditorialiste. Sur le plan interne, Chirac doit s'atteler à trouver une alchimie pour concrétiser sa promesse de donner “une impulsion forte à l'action gouvernementale”. Plus libérale ou plus sociale ? C'est tout le dilemme auquel il est confronté du fait que les électeurs ont exprimé leur refus du modèle libéral contenu par la Constitution européenne. Pourtant, Chirac doit compter avec les ambitions affichées du chef de l'UMP, Nicolas Sarkozy, ce libéral qui peut se targuer de la victoire du “oui” dans son camp électoral. Entre Sarkozy et le flamboyant ministre de l'Intérieur, Dominique de Villepin, qui avait su porter la voix de la France au début de la guerre d'Irak alors qu'il était chef de la diplomatie, les paris étaient ouverts et le verdict doit être connu dès aujourd'hui. L'embarras de Chirac est si fort que le quotidien conservateur Le Figaro craignait un “déchirement” de la majorité. Au Parti socialiste, le déchirement est réel. L'électorat de gauche a massivement voté contre la Constitution européenne, ne laissant pratiquement aucune chance à son premier secrétaire, François Hollande, de demeurer en place et de briguer la présidence de la République en 2007. Avec ce vote, la France se retrouve, désormais, en position inconfortable au sein de l'UE et Chirac a reconnu, lui-même, que la décision de ses concitoyens a créé un “contexte difficile pour la défense de nos intérêts en Europe”. Plus largement, c'est tout l'avenir de l'UE qui est dans la balance. La ratification va-t-elle se poursuivre ? Rien n'est plus sûr et le Premier ministre britannique, Tony Blair, s'est empressé d'appeler à “un moment de réflexion” sur la Constitution européenne. “Ce qui est important à présent est d'avoir un moment de réflexion avec le référendum néerlandais dans quelques jours et le Conseil européen à la mi-juin au cours duquel les leaders discuteront des implications des votes qui ont eu lieu. Au-delà de tout cela, il y a une question plus profonde qui concerne l'Europe et, en particulier, l'économie européenne”, a-t-il fait valoir. La Grande-Bretagne devrait soumettre à référendum la Constitution européenne en 2006. Tiendra-t-elle le rendez-vous ? Rien n'est moins sûr d'autant que les sondages créditent déjà le “non” d'une large victoire. S'il revient aux Britanniques de façonner une nouvelle vision de l'Europe dont ils prendront la présidence le 1er juillet prochain, elle risque de se confiner aux limites d'un “supermarché” comme le redoutait le couple franco-allemand. En Allemagne, le chancelier Gerhard Schröder est sous la menace d'élections législatives anticipées qu'il a programmées en septembre après sa récente défaite dans les Länder. Avec le vote français, la machine Europe est “en panne” et l'hypothèse d'un plan “B” alternatif redevient plausible malgré les dénégations officielles. Yacine KENZY