Les personnalités interrogées, des historiens, des hommes politiques et des militants, pensent que l'appel aux témoignages lancé par Macron devrait permettre d'élucider d'autres affaires de disparition durant cette période. Toutes les personnes qui se sont battues des années durant pour éclaircir les circonstances de la mort et la disparition de Maurice Audin sont unanimes pour dire que la décision du président Macron représente un geste historique, fort et inespéré. Au centre de cette bataille pour la vérité figure Josette Audin, la veuve du mathématicien, que nous avons joint jeudi par téléphone, peu de temps avant la visite que lui a rendue le locataire du palais de l'Elysée. La vieille dame de 87 ans dit "apprécier le geste du président", tout en estimant que "beaucoup de travail reste à faire", pour reconstituer les faits avec exactitude. Henri Pouillot attend aussi que toute la vérité soit connue. Il se montre néanmoins optimiste, notant, dans sa déclaration à Liberté, que le président français ne se contente pas de reconnaître la responsabilité de l'Etat dans l'assassinat d'Audin, mais demande que toutes les archives soient ouvertes pour savoir ce qui s'est réellement passé. "C'est quelque chose de très, très important", souligne le militant anticolonialiste. Ces deux dernières années, Henri Pouillot et d'autres personnalités ont saisi à diverses occasions le palais de l'Elysée, demandant au président de s'exprimer clairement sur le dossier Audin. À titre personnel, Pouillot a mené sa propre enquête, confondant publiquement des officiers de l'armée coloniale. Cet engagement lui a d'ailleurs valu des démêlés judiciaires avec Maurice Schmitt, ancien chef d'état-major des armées (lieutenant pendant la bataille d'Alger) qu'il a accusé d'avoir gardé le silence sur les tortures qui ont été infligées à Maurice Audin durant son incarcération. Pour Pouillot, la déclaration de l'Elysée rétablit la vérité sur cette question en indiquant que Maurice Audin a bel et bien été torturé et que cette pratique a été rendue possible par les autorités politiques de l'époque qui ont confié des pouvoirs spéciaux à l'armée et ont cautionné toutes leurs dérives. Selon lui, l'appel aux témoignages lancé par Macron devrait étayer un peu plus les informations sur cette sombre période et apporter des réponses précises concernant l'affaire Audin, savoir par exemple où le mathématicien a été enterré. D'autres disparitions pourront aussi être élucidées. C'est l'espoir que nourrit aussi Pierre Mansat, président de l'Association Maurice Audin. "Le chef de l'Etat dénonce, dans sa déclaration, le système de torture comme un instrument de terreur dont des milliers et des milliers d'Algériens ont été victimes", nous explique-t-il, considérant que l'ouverture des archives et l'appel aux témoignages sont des moyens de connaître la vérité sur la guerre d'Algérie et le système colonial français, savoir par exemple qui étaient les tortionnaires et où sont les corps des disparus. Evoquant en particulier l'affaire Audin, Pierre Mansat paraît très ému. "Le geste du président nous emplit d'une joie douloureuse. La déclaration de l'Elysée est presqu'au-delà de nos espérances. Nous pensons beaucoup à Josette Audin et à ses deux enfants, Pierre et Michelle. Nous pensons également aux personnes engagées dans cette affaire et qui n'ont rien lâché. Certains sont décédés comme Laurent Schwartz, président du comité Maurice Audin et mentor du mathématicien, Henri Alleg, torturé en même temps que Maurice Audin, le mathématicien Gérard Tronel et l'avocat Roland Rappaport qui a porté le dossier pendant 60 ans", affirme notre interlocuteur. D'autres militants plus jeunes de la cause Audin ont pris la relève depuis quelques années. Cedric Villani, mathématicien et député de la République En Marche (LRM), est celui qui a persuadé Macron de prendre une décision forte dans cette affaire. Jeudi, sur la radio France Inter, il a rendu hommage à tous les disparus de la guerre d'Algérie. Restituant les faits, il a rappelé que Maurice Audin a été arrêté et emmené par l'armée française et que depuis, un mensonge d'Etat a été savamment entretenu. "On a dit à sa famille qu'il s'est évadé. Avec le recul, cette version est simplement risible, alors que les faits sont très tragiques", remarque le député, qui affirme que le sort d'Audin ressemble à celui de centaines de milliers de personnes enlevées, torturées et tuées pendant la guerre d'Algérie. Il évoque notamment les témoignages d'Henri Alleg, dans son livre La Question, et du général Aussaresses qui a admis que le mathématicien a été tué au couteau. Pour autant, Villani estime que l'heure n'est pas aux règlements de comptes, faisant savoir que pour Macron, il ne s'agit pas de porter des accusations, mais de rétablir la vérité. De Paris : Samia Lokmane-Khelil