Le théâtre national Mahiedinne-Bachtarzi a accueilli mercredi soir la générale de Dik El Mazabil, du jeune metteur en scène Aïssa Djekati. Une nouvelle production qui vise à encourager les jeunes talents et donner un nouveau souffle au 4e art. Adaptée de l'œuvre portant le même titre, du dramaturge syrien Tallal Nasreddine, la pièce dépeint le marasme d'un homme arrivé au crépuscule de l'âge et qui se retrouve rejeté par son entourage. Une véritable descente aux enfers pour une âme perturbée. Comme dans un monologue, le début de la pièce est un long récit durant lequel un poète-enseignant, Hider Ben Hussein, 65 ans, livre ses divagations et sa méditation sur le sort que lui a réservé sa société. Dans un arabe littéraire, l'homme décrit sa déchéance et sa détresse ; le discours est soutenu et lourd de sens. À la lisière de la folie et de la raison, du réel et de l'imaginaire, le poète s'invente des mondes et des situations, rêveur par moments et dépressif par d'autres, l'homme médite sur le cours de sa vie. Serait-il devenu fou ? Certainement pas, car l'homme reste un fin philosophe et un poète très sensible. Même sous l'effet de l'alcool qui ne le quitte jamais, l'homme ne perd pas sa lucidité. Le décor est des plus significatifs, une décharge publique à la sortie d'une ville, esthétique de l'absurde oblige. Au milieu d'un amas d'ordures éparpillées çà et là, car la dégénérescence d'une âme, surtout celle d'un poète, ne peut avoir lieu que dans un lieu pareil. Un lieu qui résume l'état insalubre des sociétés qui ont permis qu'un tel drame arrive, l'esprit du poète flageole entre le rêve et l'amère réalité après de loyaux services rendus à sa communauté. Les divagations du vieil homme sont interrompues, plus tard, par l'arrivée d'un visiteur inattendu. Un inconnu, blessé et de surcroît armé (Ahmed Aggoune). Une autre victime qui traîne avec elle tous les malheurs du monde auquel le poète croyait avoir échappé. L'invité de fortune s'apprête à se suicider et le vieil homme se sent obligé d'intervenir pour le dissuader, puisant pour cela dans sa sagesse et son expérience de la vie. Le duo se lance, alors, dans une houleuse discussion. Et c'est tout le discours qui change ; le metteur en scène choisira l'arabe dialectal pour que le jeune arrivé exprime sa malchance, ce qui rend la pièce plus légère et plus accessible au public. Un langage commun à tous les jeunes et dans lequel la jeunesse algérienne se reconnaît facilement. Un moment de confidence autour des misères de la vie et de la malédiction que vivent les deux hommes. Au bout d'une longue discussion, le jeune homme abandonne l'idée du suicide qui sera reprise par le vieux. Sans aucune explication, le coup de théâtre arrive et le vieil homme se donne la mort. Dik El Mazabil (la décharge), à travers le jeu fluide et “spontané” des comédiens, résume la souffrance des hommes dans un monde de trahison, de violence et d'insensibilité. Elle met surtout l'accent sur la place de l'intellectuel dans les sociétés tiers-mondistes. W. L.